LES FUITES DES PLOMBS

CECILIA ZENO-TRON

ANGELA CACCINIS

STELLA CELLINI

LA VIGILANCE DES INQUISITEURS D'ETAT

LO SCARLATTO

XE GIAZZA L'ABATE NEL CAMPO

LES FRANCS MACONS

LE BURCHIELLO DE PADOUE

L'AVANT DERNIERE DOGERESSE

 

CXXI

LES FUITES DES PLOMBS

Giacomo Casanova ne fut pas le seul à s'échapper des Plombs, qui, comme chacun le sait, étaient les prisons situées en haut du palais des Doges. En cela, il fut imité par le comte Galliano Lecchi Bresciano, qui, environ 20 ans plus tard, y avait été enfermé pour de nombreux méfaits qu'il avait soit exécuté lui même, soit fait exécuté par ses hommes.

Il eut la chance de pouvoir fuir par les toits du palais, le 27 mars 1785, descendant dans le canal situé en dessous, au moyen de bandes taillées dans des draps, gagnant à la nage la rive de Canonica, et ensuite, au moyen d'une gondole prise en location, fuyant Venise, se mettant en lieu sur. Si, dans la fuite de Casanova, on entrevoit le bras de son grand protecteur, le patricien Bragadin, celle de Lecchi fut aidée par son épouse, faisant des Inquisiteurs d'Etat des complices. Ballarini, dans une de ses lettres manuscrites : "On est certain que cela coûta 20 ducats à Lecchi pour s'enfuir des Plombs et les méchantes langues prétendent qu'ils furent partagés par Gabriel et Emo."

Le gardien et le médecin des prisons furent ceux qu'on punit pour cette évasion. Quant à Lecchi, lors des bouleversements de 1797, il fut fusillé par les citoyens et jeté dans le fleuve Adda.

CXXII

CECILIA ZENO-TRON

Cecilia, fille de Renier Zen et épouse de Francesco Tron était une dame charmante et une femme d'esprit que le poète local Angelo Maria Barbaro chanta et dont le charmes mirent en danger le vieux Parini, comme on peut s'en rendre compte dans l'ode écrite par celui-ci en 1787, intitulée : Le Danger. Longo rappelle dans ses Mémoires qu'elle prodiguait d'immenses trésors lors de splendides réceptions où elle accueillait les meilleures gens de son pays et du monde. Chaque souverain qui arrivait à Venise était reçu dans sa maison Pas un seul étranger célèbre pour ses talents, ses aventures ou pour grandeur de ses titres et honneurs qui ne lui fut recommandé par lettre d’illustres personnages.

Celui qui voulait un dictionnaire universel des langues et des dialectes devait se référer à ses très brillantes traductions dans lesquelles elle savait si bien trouver les mots propres à toutes les notions, soutenant noblement les diverses manières d’écrire. Elle obtenait ainsi l’admiration des voyageurs lesquels portaient chez eux, à leur retour les éloges à l’égard d’une femme si noble, si généreuse.

Il n’y avait pas de ballerine, de cantatrice, de poète, d’aventurière, ayant soif de renommée qui ne fut accueillie et protégée par elle. Protectrice des arts et des sciences, elle était mécène des hommes de lettres et des artistes, qu’elle recevait en les flattant, leur donnant courage et facilitant leur entreprise avec les associations et leur apportant une aide financière.

De telles belles prérogatives, sans doute un peu gonflées par l’adulation dont elle était l’objet étaient obscurcies par une grande licence de mœurs. Ballerini, dans ses Lettres dit qu’elle faisait feu de tout bois et raconte l’anecdote suivante : Les ducs de Curlandie étant venus à Venise en 1784 cherchaient une loge au théâtre S. Benedetto. Cecilia Tron consentit à leur céder la sienne, moyennant le pris de 80 sequins. Alors courut le pamphlet satirique sui suit :

" Elle est forte la Tron

Elle vend sa loge

Plus cher que sa…. "

Alors dans ce cas, s’exclama-t-on, on ne devrait pas dire qu’elle vend sa loge mais qu’elle la donne ; et son mari fut l’objet des plus grasses plaisanteries.

On ne doit pas oublier son étroite relation avec le tristement célèbre Cagliostro. Relation qui prit fin seulement quand l’imposteur qui avait soutiré 1000 sequins à un riche marchand de la Giudecca , lui faisant la promesse de lui enseigner comment on transforme le plomb en or et le pain en soie, s’enfuit piteusement de l’île par la peur des Plombs.

Une autre épigramme populaire fait référence à Cecilia Tron :

Qui rode sur la rive ?

Lucieta la bela

Et sa sœur la sourde

La Trona, la Benzona…

On veut que par "Lucieta la bela" on entende Lucia, fille du pharmacien Fantini ai Carmini, épouse de Nicolo Foscarini et que par "sorda so sorela" on entende Cicognara, autre fille de Fantini mariée à Zanetti. Enfin "Benzona" désigne Marina Querini, épouse de Pietro Benzon.

CXXIII

ANGELA CACCINIS

Avec leur langue, les dames sont à l'origine de querelles et de discordes . C'est un fait indéniable comme indéniable est le fait qu'en bien des cas, elles mériteraient un châtiment approprié.

Attention cependant si tous voulaient punir comme le fit le médecin Giuseppe Musalo , qui punit Angela, fille du capitaine Lorenzo Cassinis, noble de Padoue. Musalo avait eu quelque discussion avec ses propres frères. Par ailleurs, il était persuadé qu'Angela accomplissait mal ses devoirs religieux. Pour cela, très fâché, il attendit qu'elle sorte de l'église de S. Biagio le matin du 16 août 1175, où elle avait été communier, il la rejoint à la Tana et la renversant par derrière face contre terre, il lui administra une bonne dose de coups sur chaque hémisphère fessier. Imaginez les moqueries, la risée des gens accourus aux cris de la jeune fille qui ne tarda pas à porter les faits devant le Conseil des Dix. Musato fut alors banni, malgré la supplique de ses frères pour qu'il soit gracié . Cependant ils donnèrent bien peu de bonnes informations sur son compte

L'aventure arrivée à la pauvre Cassinis servit d'argument à quelques poésies locales , qui se répandirent dans la cité.

CXXIV

STELLA CELLINI

Stella Cellini dansait en 1780 sur la scène de notre théâtre de S. Cassiano, et, chose inhabituelle, refusait de prêter oreille aux sollicitations amoureuses de Tommaso Sandi, juge à la Bestemmia. Par vengeance, il la fit accuser de la plus laide débauche de mœurs et la fit condamnera l’expulsion.

La jeune femme eut recours au tribunal suprême des Dix, joignant un certificat de bonnes mœurs, délivré par le curé de S. Benedetto, quartier dans lequel elle habitait à l’auberge des Trois Rois, corte Tron. Elle présenta même une attestation de deux obstétriciens qui la déclarait encore vierge. La sentence fut révoquée sur le champ et Stella Cellini retourna danser sous un tonnerre d’applaudissements. L’aventure, pendant ce temps, avait fait le tour de la cité et les gondoliers, dit un écrivain contemporain, ne jurèrent plus par la vierge Marie mais par la vierge Cellini.

CXXV

LA VIGILANCE DES INQUISITEURS D'ETAT

A ce propos, une anecdote a été révélée par des écrivains français qui, vrai ou non, reflète l'époque et démontre en quel estime était tenu le fameux tribunal.

On déroba à un noble français, venu visité notre côté, une petite bourse verte contenant une belle somme d'argent. Il dénonça les faits, mais on ne peut rien découvrir sur le moment. Si bien que, indigné, il décida de partir mais non sans d'abord se lamenter publiquement du peu de sagesse du gouvernement vénitien. Pendant qu'il était en marche vers Mestre, sa gondole fut arrêtée par une autre dans laquelle était assis un grave personnage, qui lui demanda si c'était bien lui-même qui, quelques jours avant, avait été volé d'une certaine somme d'argent contenue dans un sac vert. La réponse étant affirmative, il poussa du pied un drap et on vit apparaître un cadavre qui tenait en main la bourse, que reconnut tout de suite notre étranger. Le grave personnage se retournant vers lui, dit alors : "Justice est faite. Reprenez votre or et partez, en vous gardant bien de remettre les pieds sur nos terres"

CXXVI

LO SCARLATTO

(L'écarlate)

Parmi les principales industries de Venise, était celle des teinturiers, et parmi les teintures, la plus en l'honneur était celle de couleur écarlate. Pour la composer, on avait établi des périodes spéciales au cours de l'année. On cherchait par tous les moyens à tenir secrets les mélanges de fabrication, en éloignant les curieux des lieux où l'on travaillait. Pour cela, on faisait faire des rondes de nuit dans les parages, à un fantôme blanc, homme couvert d'une grande cape ou même un géant avec une lanterne à la main . De telles apparitions sont à l'origine de vaines peurs populaires et c'est pourquoi, dans notre dialecte, on appelle "scarlato" une crainte sans fondement.

 

CXXVII

XE GIAZZA L'ABATE NEL CAMPO

 

Il arriva parfois que, en hiver, certains se lamentent injustement du froid de la journée tandis que les autres disaient en plaisantant : Oui, sur la place "l'abate" est gelé

Pour bien comprendre cette expression, il est bon de savoir que le mot "abate" dans l'ancien dialecte vénitien ne signifiait pas seulement : homme voué à la carrière ecclésiastique ; mais il désignait aussi ces blocs de marbre placés à l'entrée des églises et des confraternité qui servaient de support aux crucifix et enseignes religieuses. De ces "abati" nous avons encore des exemples à S. Maria Formosa , face à la porte de l'église, sur le Campo dei Frari et ailleurs.

La phrase joue donc sur les deux sens du mot "abate" et sur la naturelle froideur du marbre.

De cette manière, elle veut donc indiquer qu'en ce jour, par un froid peu intense, seulement les blocs de marbre étaient glacés.

Dans son dictionnaire du dialecte vénitien, Boerio donne une explication erronée de cette phrase : Il fait grand froid!

 

CXXVIII

LES FRANCS MACONS

Les francs-maçons avaient planté leurs tentes même à Venise. C'est par hasard qu'on découvrit leur loge. On savait que sur le rio Manin, dans le palais Contarini, à S. Simone Profeta, entraient furtivement quelques personnes après minuit. En outre, un inconnu avait fait construire par un menuisier une grande armoire avec l'ordre de ne pas la monter à l'adresse ci-dessus mais de la déposer dans le hall de la maison. Le menuisier, qui connaissait ceux qui habitaient l'étage du dessus, ne voyant plus l'armoire dans le lieu où il l'avait déposée quelques jours après, eut la curiosité de savoir où elle avait été déplacée. Avec une vrille, il fit un trou dans le plancher et par ce moyen, il découvrit, après minuit, une salle tapissée comme pour un deuil, avec un trône couvert de vêtements noirs, avec des ustensiles mortuaires et plusieurs personnes vêtues de noir, rassemblées çà et là , à la faible lueur de petites lanternes.

Epouvanté, il courut trouver le curé du quartier et, selon ses conseils, avertit le tribunal suprême, qui envoya le célèbre Cristofolo dei Cristofoli avec 24 hommes pour vérifier les faits.

D'autres attribuent la découverte de la loge à une liasse de papiers barrés de caractères et de signes étranges, oubliée par Girolamo Zusto, affilié à la secte, dans sa propre gondole et remise aux autorités par les gondoliers.

Les francs-maçons furent également persécutés par les gouvernements successifs de la République. On a mémoire qu'en 1814, ils se rassemblaient dans une grande bâtisse, depuis abattue, sur la Fondamenta delle Erbe, à S. Marina et, que le 30 août de cette année on brûla , tous leurs emblèmes, mémoires, meubles, effets qui se trouvaient dans cette bâtisse

La loge du Rio Marin fut découverte le 6 mai 1785 ; mais la première loge fut fondée en 1774 par le célèbre Pietro Grattarol, secrétaire du Sénat, dans un palais de la Corte Da Mosto à S. Leonardo. Les Inquisiteurs d'Etat furent informés de son existence par leur confident G. B. Manuzzi.

CXXIX

LE BURCHIELLO DE PADOUE

Le voyage entre Padoue et Venise était long et ennuyeux. Sous la République, on pensa donc le rendre à la fois plus rapide et divertissant. A la place des barques, un navire élégant dirigé par de bons rameurs et tiré par un ou plusieurs chevaux qui progressaient le long de la rive, mettait en communication les deux cités, sillonnant les calmes eaux de la Brenta.

Il présentait une grande salle carrée avec de nombreux miroirs et de nombreuses fenêtres et à chaque extrémité un petit cabinet. Là, on jouait, on conversait, on racontait des histoires, comme en témoigne l'Arcadia in Brenta, œuvre de Giovanni Sacredo, sous le pseudonyme de Ginnesio Gavardo Vacaliero où justement on imagine un groupe de dames et de cavaliers, voyageant sur le Burchiello et passant le temps en se racontant des histoires et des plaisanteries. Dans cette ambiance, c'était souvent l'occasion de faire quelque galante rencontre et de trouver fortune en amour.

Carlo Goldoni a chanté le Burchiello dans un de ses poèmes ; Longo, dans ses Mémoires, en a rappelé le souvenir.

CXXX

L'AVANT DERNIERE DOGERESSE

C'est vraiment par hasard que nous savons qui elle fut. Ce fut Margherita Dalmaz, d'origine grecque, d'abord danseuse sur corde, et au dire de certains, aux manières fort peu modestes. C'est par sa beauté, qu'elle conserva jusqu'à ses dernières années qu'elle toucha le cœur de Paolo Renier, qui fit sa connaissance à Constantinople, quand il était ambassadeur. Il l'épousa secrètement. Devenu doge en 1179, il tenta en vain de faire inscrire son mariage sur le Livre d'Or. Margherita était une dame intéressée ; tellement, qu'avec l'accord de son mari, elle vendait les charges d'électeur ducal et tirait profit de la location d'espaces situés entre le pont de la Paille et la porte della Carta, et aussi chaque année 1000 sequins de la location du prieuré de la Ca d'Oro. Goethe parle de cette dame, racontant qu'en 1786, dans le palais Ducal il a assisté à une querelle initiée par la dogeresse elle-même et nous la décrivant comme une personne d'un certain âge, de noble figure au visage bien fait où se lisait l'austérité et même un je ne sais quoi de tristesse. Il ajoute ensuite que les vénitiens devaient être fiers que leur princesse vienne à paraître dans son propre palais en présence des juges et du public.

Margherita Dalmaz mourut octogénaire laissant un important patrimoine, le 11 mai 1817 au palais Mocenigo, ou comme d'autres le disent dans la maison voisine du palais Medin sur le campo S. Angelo.