DEUX CURES DE S. BASSO

LE DERNIER DOGE DES NICOLOTI

LES GAZETTES

LES COLOMBES DE LA PLACE

UN CHIEN LEVRIER PEINT AU ¨PALAIS LABIA A S. GEREMIA

LE CASINO DES ESPRITS

LES LUNDIS DU LIDO

LA STATUE DE MARBRE AGRIPPA

UN PRETRE DE L'EGLISE DE S. NICOLO

UN PETIT AUTEL HISTORIQUE

 

CXXXI

DEUX CURES DE S. BASSO

Le premier se prénommait Francesco mais les chroniques taisent son nom. Il mourut funestement à cause de son avidité pour les gains.

En 1639, un gentilhomme avait été tué ; malgré les recherches le tueur ne put être identifié . Le gouvernement fixa donc une récompense de 4000 ducats pour celui qui apporterait des éléments sur le crime. Un inconnu vint se confesser à Francesco, lui avouant être le tueur du gentilhomme. Une mauvaise idée germa alors dans l'esprit du prêtre. on ne sait sous quel prétexte il interrompit la confession et invita le pénitent à venir la reprendre plus tard dans la sacristie, où il pourrait l'écouter plus aisément. Il cacha entre temps, dans une vieille armoire un de ses neveux de manière à ce qu'il puisse tout entendre, qu'il informe la justice et qu'il touche la prime. Les choses se passèrent comme prévu et le coupable finit en prison. Le malheureux pensait sans cesse à la condamnation, ne pouvait pas fermer l'œil de la nuit, et dans le silence de la nuit, tourné vers un crucifix, accroché au mur nu, il s'exclamait plusieurs fois : "C'est vrai que je suis le vrai coupable, mais comment pourrait-il être découvert s'il est seulement connu de vous, mon Jésus et du prêtre de S. Basso, mon confesseur?"

Une telle déclamation fut entendue par les geôliers, qui la rapportèrent à leur supérieur et arriva de main en main devant le tribunal. Celui-ci ouvrit une enquête, envoya chercher le prêtre qui, adroitement questionné, finit par se confondre et confesser sa manière d'agir.

Les décemvirs le firent alors suspendre aux fourches et libérèrent le condamné, lui donnèrent 2000 ducats avec l'ordre de quitter Venise dans les trois jours.

L'autre curé dont nous voulons parler est Benedetto Schiavini, élu en 1780. L'aventure qui le touche est certainement moins lugubre. Il s'était arrangé avec Dalmaz, épouse du doge Paolo Renier, dont nous avons parlé auparavant, pour être nommé chanoine de Saint-Marc. La dogeresse lui avait promis ce poste s'il parvenait à faire déplacer la petite cloche qui, sur la façade de l'église de S. Basso sonnant très tôt tous les matins, la dérangeait.

La cloche fut déplacée mais la charge de chanoine fut attribuée à un autre, qui peut-être pour cela avait déboursé une somme rondelette. Le curé indigné remis à sa place la cloche et, à la dogeresse qui lui rappelait qu'il manquait à sa parole, il fit observée qu'elle non plus n'avait pas respecté la sienne. Alors la charge lui fut à nouveau promise et à la fin, un autre poste étant libre, attribuée à note curé, qui, cette fois fit disparaître définitivement la cloche.

CXXXII

LE DERNIER DOGE DES NICOLOTI

Tout le monde sait que les habitants des deux quartiers de l'Angelo Raffaele et de S. Nicolo dei Mendicoli avaient leur chef, un chef spécial, dit Gastaldo, ou encore doge des Nicoloti, doté de privilèges mais n'ayant aucune autorité.

Il était élu solennellement par ces habitants réunis dans l'église de S. Nicolo, où un fonctionnaire public lui remettait l'étendard de la communauté, avec lequel, devancé par des trompettes et des fifres, en grande pompe, il allait se présenter un des jours suivant devant le doge, qui l'exhortait à être un bon père pour sa nouvelle famille et respectueux de son titre. L'élu s'approchait alors du doge, à genoux, il lui baisait d'abord la main puis le manteau. Il revenait ensuite dans son quartier où il écoutait une messe solennelle, chantée par le curé de la paroisse et invitait parents et amis à un banquet, au milieu de l'allégresse générale. Dans ses fonctions publiques, il endossait une longue veste, qui, selon les saisons, était de satin ou de soie damassée ou un manteau rouge de vair (fourrure). Il portait des bas damassés, des chaussures de maroquin de la même couleur, une petite perruque noire ronde, un bonnet de gentilhomme et des gants blancs. Il avait le privilège de suivre le doge dans une petite barque attachée à la poupe du Bucentaure lors des épousailles avec la mer, le droit d'exiger une taxe sur routes les embarcations de pêche de son quartier et celui de tenir deux comptoirs de marchands de poisson dans les pêcheries de Saint-Marc et du Rialto.

Il devait donner chaque année au doge une redevance de 22 lires et 200 mulets, offrant dans le même temps 2400 de ces poissons aux Giudici del Proprio.

Le dernier doge, ou Gastaldo dei Nicoloti fut Vincenzo Dabalà, dit Manestra, qui mourut en 1830 dans le quartier de S. Nicolo, dans la Calle dei Remurchianti au numéro 2998, aujourd'hui numéro 2104, comme on peut le relever dans le registre mortuaire suivant :

2 avril 1830. Vincenzo Dabalà, célibataire, vénitien Expert en poissons pour les douanes, mourut aujourd'hui à 10 heures, âgé de 81 ans, d'un coup d'apoplexie survenu par la surprise en dehors de chez lui. Il peut être enterré demain vers midi. Il habitait au numéro 2998 Campiello dei Remurchianti. Signé : Ongania, médecin légiste.

Enregistré à la salle anatomique pour autopsie.

CXXXIII

LES GAZETTES

Depuis longtemps, on diffusait à Venise les nouvelles par écrit. A ce but, on avait institué écrivains, reporters, journalistes.

Les principaux, parmi eux, étaient, en 1714; Antonio Marinori à Saint-Marc, Carlo Origoni dans la calle del Megio à S. Giacomo dall'Orio, Alvise, dit le Bolognais dans la Frezzeria, Pietro Dona , Pasqualino Bedani, dasn la calle Vallaresca, à S. Moise, Pietro Carrara dans la calle di Mezzo et Lodovico Bianchi à S. Cassiano.

Les nouvelles vénitiennes arrivaient par l'intermédiaire des ambassadeurs et des résidents à l'étranger. On les publiait tous les deux ou trois jours, ou même quotidiennement sous la surveillance du gouvernement. On les appelait "gazzette" parce que comparables aux pies (gazze, en italien), oiseaux bavards, ou parce qu'on les distribuait au palais ducal au prix d'une "gazeta", petite monnaie vénitienne. Cette dernière interprétation est la plus acceptée. Bien vite, on eut recours à l'imprimerie et apparurent : la Gazette Vénitienne de Gozzi, la Nouvelle Gazette Vénitienne, la Gazette Urbaine, le Postillon… et autres périodiques.

CXXXIV

LES COLOMBES DE LA PLACE

Une des cérémonies du dimanche des Rameaux à Venise était celle où s'envolaient de la loge de la basilique Saint-Marc des oiseaux, surtout des colombes, qui ensuite devenaient la proie du peuple. Stringa dans les ajouts qu'il a apporté à la Vénétie de Francesco Sansovino nous dit que, ce dimanche, tandis que le chœur des prêtres chantait sur la place, " beaucoup d'enfants, montés à cet effet sur le sommet de l'église, jetaient divers oiseaux, gros et petits avec des morceaux de papier coloré , attachés aux pattes de sorte qu'ils ne puissent s'envoler trop loin et qu'arrivant sur la place, ils soient pris par ceux qui pouvaient les prendre, puis manger pour Pâques. Pour qu'ils soient bons à manger, il fallait de jeunes colombes…. La cérémonie se déroulait dans une grande allégresse, semblable à celle des enfants hébreux, quand avec des rameaux à la main, ils rencontrèrent le Christ entrant à Jérusalem."

Quelques unes des colombes réussissaient à s'enfuir et s'abritaient sur les toits de la basilique, du palais ducal ou des procuraties. Elles y faisaient leurs nids et avec le temps, se multiplièrent, comme on peut le constater aujourd'hui. Le gouvernement voulut leur faire construire quelques abris sur le toit de la basilique et leur distribuer chaque jour des graines, sur la place ou la piazzetta. La République étant tombée, des personnes privées prirent la succession, parmi lesquelles la comtesse Catterina Querini Polcastro, qui, de l'appartement où elles habitait dans les Procuratie Vecchie, avait l'habitude d'administrer à midi une ration de grains aux colombes. Une autre ration ensuite était jetée à deux heures. du haut de l'Office des Assurances Générales, par le soin de quelques employés.

Ainsi nos colombes avaient deux repas par jour. Aujourd'hui, elles n'en ont plus qu'un, aux bons soins des Assurances, qui ont inscrit à leur budget la somme correspondante.

Il est ici opportun de faire une observation. Le spectacle de ces volatiles qui se familiarisent avec les passants et surtout les étrangers, qui leur donnent à manger du grain, acheté pour ça, est agréable. Mais d'autre part il faut considérer les dommages qu'ils apportent à nos monuments, qu'ils couvrent de saletés. On peut donc se demander si c'est un blasphème que de vouloir s'en débarrasser.

CXXXV

UN CHIEN LEVRIER PEINT AU ¨PALAIS LABIA A S. GEREMIA

Nous avons déjà parlé d'Elena Barozzi, épouse d'AntonioZantani, surnommée la belle Barozza. Parlons maintenant d'une autre Elena Barozzi, épouse de Nicolo Balbi da S. Trovaso, non moins admirable que la première par sa beauté. Elle portait une très grande affection à deux chiens lévriers, qu'elle tenait chez elle et qui sachant que le peintre Battista Tiepolo excellait à représenter les animaux, l'appela pour avoir le portrait de son couple chéri.

Le peintre accepta, donnant pleine satisfaction aux désirs de la dame; Son travail lui plut tellement que, dans plusieurs de ses œuvres il reproduit plus tard la figure des chiens dans diverses positions.

On dit que ceci peut se vérifier au palais Labia à S. Geremia dans la fresque représentant l'embarquement pour Cythère Où un jeune maure tente de retenir un lévrier pour qu'il n'ennuie pas la reine d'Egypte. Ce lévrier serait l'effigie d'un des deux chiens de la Barozzi.

CXXXVI

LE CASINO DES ESPRITS

Il surgit à l'extrémité de la Sacca de la Misericordia et sert aujourd'hui avant tout comme dépôt de bois. Une certaine élégance dans la structure et une position agréable (il domine la lagune, avec les îles de Murano et de San Michele) témoignent qu'il n'a pas toujours été destiné à cet usage. Il y a ceux qui disent que se rassemblaient ici pour le plaisir, les plus beaux esprits de l'époque, comme Aretino, Titien, Sansovino etc…, et que le casino tirerait son nom de là. Mais l'opinion la plus répandue veut, qu'ici, la nuit, on entendait des rumeurs infernales, et l'on voyait apparaître des lutins. Cette croyance était, en quelque sorte, renforcée par le fait que la voix de qui se tenait à l'extrême point des Fondamente Nuove, au delà du canal, y recevait certainement, de face, les effets de l'écho, qui a toujours semblé quelque chose de mystérieux à l'imagination populaire.

Mais qui, au jour d'aujourd'hui voudra croire à telles balivernes ?

N'est ce pas une chose naturelle que ces rumeurs qui ont été et seront toujours émises par le vent qui fait habituellement rage dans cette partie de la lagune où est situé le casino?

C'est pour atteindre leurs fins et pour éloigner le peuple des parages que certains voulaient ces rumeurs artificielles et ces racontars fantastiques.

CXXXVII

LES LUNDIS DU LIDO

Le siècle dernier, vivait une vieille laide, boiteuse mais aussi gaillarde avec l'envie de prendre mari. Elle avait réussi en épargnant par-ci par-là à se constituer un petit magot. Un de ces désespérés qui ne manque jamais passait par là et, avec ses minauderies, elle réussit à le prendre pour mari. Pour arrêter les bavardages et le moqueries, ils se rendirent tous les deux un lundi de septembre au Lido et la se jurèrent fidélité devant un prêtre, allèrent à l'auberge où ils s'assirent avec leurs invités pour un banquet nuptial. Un traître cependant s'était aperçu de tout. Il avertit amis et connaissances qui se rendirent eux aussi au Lido. On les accueillit donc en sifflant et en faisant avec les instruments de cuisine du tapage

Comment devait se contenir nos deux époux ? Une belle idée leur vint à l'esprit. Ils acceptèrent ces nouveaux invités, avec allégresse, les firent servir généreusement en nourriture et en, boisson, les invitant à danser avec eux la furlana. Les sifflets, comme on peut l'imaginer se transformèrent en applaudissements. Sur le soir, l'heureux couple rentra à Venise accompagnés par tous.

De cette aventure, naquit la coutume que l'on conserva jusqu'à la moitié de ce siècle d'aller, après les repas des lundi de septembre, au Lido et de s'y divertir, en dansant, en faisant la noce, en chantant de gaies chansons, dans lesquelles ne manque jamais la ritournelle : "Enota, Enota, Enio", qui venant du grec signifierait selon Mutinelli : "Voici que vient, voici que vient l'époux"

CXXXVIII

LA STATUE DE MARBRE AGRIPPA

Comme on le sait, dans la cour du palais Grimani à S. Maria Formosa on conserve la statue de Marco Agrippa, venue du Panthéon à Rome. De nombreuse offres avaient été faites aux Grimani, au siècle dernier pour s'aliéner la statue, mais elles avaient toujours rencontré un refus. Finalement, une offre plus avantageuse que les autres, venue de l'autre côté des Alpes, les fit changer d'avis et la statue fut vendue. Le jour de son transport était arrivé, alors que des curieux étaient rassemblés dans la cour pour assister au départ, apparut la redoutable figure de Cristofolo dei Cristofoli, valet des inquisiteurs d'Etat, vêtu d'une veste d'officier. un sourd murmure passa dans l'assistance et les Grimani ayant été mis au courant firent demander à voix basse à Cristofolo s'il avait quelque chose à ordonner. Il répondit sèchement :"Je viens de la part des dieux souhaiter bon voyage à Marco Agripa avant qu'il ne parte."

La colossale statue se trouve dans la cour du musée archéologique. La tradition veut qu'elle représente Marco Vipsanio Agrippa, amiral de l'empereur Auguste, qui fit construire le Panthéon.

CXXXIX

UN PRETRE DE L'EGLISE DE S. NICOLO

L'église de S. Nicolo Dei Mendigoli, ainsi appelée pour la pauvreté de ses habitants, avait besoin d'être restaurée au siècle dernier, mais l'argent manquait pour le faire. Quand un pauvre prêtre, nommé Giovanni Zaniol s'engagea de manière inattendue dans cette tâche, faisant refaire l'autel de la troisième chapelle à droite et prêtant main forte aux travaux de la façade.

Alors la curiosité se manifesta pour savoir comment il avait pu entreprendre ces travaux et la médisance se déchaîna contre lui. Le prêtre s'enferma dans le silence. Et pour montrer son innocence, le merveilleux de l'entreprise, et son secret, il fit placer sur la façade la statue de la vierge avec ces mots: "Sine labe concepta" ; sur le côté la statue de Saint Antoine de Padoue ave ces mots "Si quaeris miracula" et celle de S. Giovanni Nepomuceno de l'autre côté avec : "Dixi secretum meum mihi"

Plusieurs voix firent plus tard des révélations autour de ce fait, parmi lesquelles celle de Giovanni Zaniol selon lesquels les fonds nécessaires avaient été trouvées dans une vieille sépulture, et n'étaient pas seulement les dons d'un bienfaiteur occulte.

CXL

UN PETIT AUTEL HISTORIQUE

Un grave incendie éclata le 12 juillet 1735 au voisinage du campo dei SS. Filippo e Giacomo. on ne sait pour quelle raison il avait commencé dans la boutique du droguiste Antonio Biondini, face à la calle delle Rasse, brûlant en partie l'établissement des religieuses de S; Zaccaria, où est située la pharmacie, ainsi que toutes les façades de la place, et s'étendant de l'autre côté jusqu'au pont de S. Provolo.

A cause des vents, de face, l'incendie se propagea et détruisit les maisons et boutiques appartenant à la famille Michiel da S. Angelo, qui en subit de graves dommages, et ruinée, implora du gouvernement une diminution d'impôt.

En mémoire de ces faits, on a fait construire au dessus de ces établissements, vers le pont, au numéro 4620, un petit autel avec une madone de marbre et une inscription où il est noté qu'Antonio Visetti fit cet ouvrage à l'occasion de la reconstruction de 1737