L'ELEPHANT DE LA RIVE DEGLI SCHIAVONI

LES BAICOLI

LA PETITE LUMIERE DE S. GIOVANNI EVANGELISTA

LE BOSSU DE LA MAIRIE

SIEUR TONIN BONAGRAZIA

LE CHAPITEAU AU PONT DE LA ¨PIETA

 

CLI

L'ELEPHANT DE LA RIVE DEGLI SCHIAVONI

Au début du carême de 1819, on voulut tirer hors de Venise un gros éléphant que, pendant le carnaval on avait exposé dans une des habituelles baraques sur la riva degli Schiavoni. Mais l'animal ne le voulut pas ainsi. Saisissant par la trompe un des gardiens, il l'étendit à même le sol et le piétina avec ses pattes, se mettant ensuite à courir dans la Calle del Dose, poursuivi par les gardes de la police. Ceux ci le rattrapèrent sur le Campo delle Bragola, maintenant Bandiera e Moro, tirèrent sur lui plusieurs coups de fusil mais inutilement car la dureté de sa peau était telle que les balles rebondissaient sans le blesser. Alors il entra dans la Calle del Forno Vecchio, brisa la porte d'une maison et voulant gravir un escalier de bois, il s'affala en le brisant.

Pendant ce temps on continuait à tirer sur lui d'autres coups de fusil, toujours sans effet. A cet endroit les balles du fusil entrèrent dans une petite chambre du rez-de-chaussée où dormaient une femme avec ses quatre petits enfants qui furent indemnes par miracle. Entre temps, l'éléphant s'était relevé ; il continua son voyage jusqu'au pont de S. Antonino, où en reculant, il abattit la porte d'une église, mit tout sens dessus dessous , écrasa et éventra avec les pattes arrières une sépulture. Les artilleurs, que l'on avait appelés, profitèrent de cette occasion pour le tuer avec un petit canon et libérer ainsi la ville saisie par la peur.

L'aventure racontée ci-dessus donna son argument à Buratti pour écrire son "Elefanteide", qui lui coûta un mois de prison ; également à Pietro Bonmartini pour son "Elefanticidio" et plus tard à un certain Zanon qui écrivit une comédie en dialecte vénitien, intitulée elle aussi "Elefanticidio" et donnée en représentation au milieu des sifflets au théâtre S. Luca, aujourd'hui Goldoni.

CLII

LES BAICOLI

(Petits biscuits secs typiques de Venise)

Ils furent par un pâtissier du quartier de S. Margherita, aux derniers temps de la république, et prirent le nom du "Baicolo", petit poisson de l’espèce des mulets , à cause de leur ressemblance de leur forme avec ce poisson. Ils furent accueillis favorablement par la population et, depuis le début, on en expédiait de grosses caisses à l’étranger, jusqu’à Constantinople, parce que l’opinion répandue, encore de nos jours, était qu’ils ne peuvent être bons que s’ils sont fabriqués à Venise. Ils devinrent célèbres à la suite des événements suivants. Les soirs d’hiver, la princesse Caterina Querini avait l’habitude de recevoir des amis, de leur offrir le thé à l’anglaise avec lait et rhum, tandis qu’une corbeille pleine de baicoli était immanquablement disposée sur la table, à disposition des invités.

U soir, le comte Palfy, qui faisait partie des invités en prit un dans la main et se retournant vers le poète local Pietro Buratti, l’invita à célébrer les gâteaux par des rimes. L’argument, des plus futiles, n’était pas vraiment apte à allumer la flamme du poète. Cependant Buratti composa de brillantes strophes, dont les deux dernières sonnent ainsi:

Vous approuvez comtesse ?

C’est bien ainsi ?

Vive le baicolo

Je le repète

Vive le Baicolo

Répondez en chœur

Les premiers honneurs

A la corbeille des baicoli

 

CLIII

LA PETITE LUMIERE DE S. GIOVANNI EVANGELISTA

Le soir, de huit heures à minuit, On voyait apparaître sur les vitres de la Scuola di S.Giovanni Evangelista une faible flamme. La chose commença à éveiller la curiosité de ceux qui passaient par le ponte della Latte, qui voyaient cette lumière depuis longtemps, sans pouvoir s'en approcher à cause du canal interposé. Les bavardages des dames des alentours allaient bon train : elles parlaient de diables, de sorcières, d'apparitions mortuaires. Un crime de sang étant récemment survenu dans la proche calle di S. Zuane, dite del Bo (c'est à dire du Saint), on soutenait que cette flamme n'était autre que l'âme de la personne tuée ici. Personne cependant ne pensait, ou n'osait aller vérifier, au moyen d'une barque, l'origine de la flamme. Le devoir revenait à la police, qui, ayant pris une barque, fit un tour sur le canal, et se rendit compte que ce n'était autre que la petite lumière ardente d'une pauvre famille qui habitait dans une maison voisine qui se reflétait sur la fenêtre de la Scuola.

Ce fait se produisit l'an de grâce 1844.

CLIV

LE BOSSU DE L'HOTEL DE VILLE

Celui qui monte la première volée de marches du palais Farsetti à San Luca , aujourd'hui siège de note mairie, voit sur le palier un fanal, soutenu par les épaules d'un bossu de couleur noire, qui, à première vue, semblerait de marbre. De marbre, il l'était à l'origine mais il est aujourd'hui en bois verni. Pour expliquer une telle transformation, il est utile de remonter en pensée les aventures de ce palais. Après la mort de Francesco Farsetti, à Saint Pétersbourg en 1808, le palais passa entièrement dans les mains de sa veuve Adriana Da Ponte (à titre de paiement dotal), laquelle avant d'en faire don à la congrégation municipale de Venise en 1826, la transforma quelque temps en auberge à l'enseigne de la Grande Bretagne. C'est à cette époque qu'un certain Buffoni, exploitant de cette auberge poussé par l'appât du gain vendit le bossu de marbre , en lui substituant un autre de bois.

CLV

SIEUR TONIN BONAGRAZIA

Qui parmi nos anciens ne se rappellent pas de sieur Tonin Bonagrazia, qui avec ses propres récits, pleins d'esprit et de ruse s'attarda sur le bon peuple de Venise ?

Il fit ses premiers essais dans les cafés, avec le masque sur le visage, et les gens accouraient pour l'entendre, insatiables. Il exerça ensuite sans masque son métier, en plein air, soit sur la Place Saint Marc, soit sur la Piazzetta, soit le long de la Riva degli Schiavoni ou encore sur divers campi de la cité.

On dirait encore le voir, avec sa veste noire, toute usée, avec ses pantalons courts qui lui arrivaient aux genoux, avec le tricorne sur la tête, les doigts ornés de brillants sortis des fourneaux de Murano et la poitrine recouverte de décorations de la même provenance. Il amassait autour de lui un cercle épais d'auditeurs, aux quels, lui, qui étant jeune était garçon dans la boutique de coiffeur de son père, il faisait croire qu'il était issu d'une noble famille de Torcello, qu'il possédait des terres , des domaines dans des lieux imaginaires ou simplement dans les terres sableuses du Lido, qu'il était héritier par testament de son père de l'ombre de tous les arbres et d'on ne sait combien de milliers de rues, qu'il jouissait de l'usage de l'air de tous les potagers et qu'il avait le droit exclusif d'aller en prison pour dettes. Toutes ces histoires, il les faisait passer avec tant de sérieux qu'il faisait se tordre de rire l'assistance.

Mais l'enthousiasme pour Tonin alla diminuant peu à peu et il prit le parti d'abandonner Venise pour aller planter sa tente à Trevise, Vérone, Vicenza, Rovigo et Padoue. Ce fut justement à Padoue qu'il tomba malade en 1839. Il fut nécessaire de l'hospitaliser et on le crut mort. Alors Tommaso Locatelli écrivit une nécrologie pleine de verve dans la gazette de Venise, mais tout de suite, il dut la retirer puisqu'il était encore vivant. Il n'y eut plus ensuite aucune nouvelle de lui.

Maintenant la souvenir de Tonin Bonagrazia est rafraîchi par le titre d'un journal local, écrit en dialecte et dont le but est de régaler ceux qui se plaisent à rire aux dépens des autres.

CLVI

LE CHAPITEAU AU PONT DE LA ¨PIETA

Sur la Riva degli Schiavoni, il y avait un hospice pour les enfants abandonnés, dit de la Pietà, parce que voulu dans un but de pitié, plus particulièrement à l'égard des nombreux enfants abandonnés dès la naissance sur le pavé, par la cruauté de leurs parents. Le frère franciscain Pieruzzo d'Assisi désirant les recueillir faisait le tour de la ville en quémandant pour réaliser sa sainte entreprise et de porte en porte demandait : Pitié. Au voisinage, existait un pont au sur lequel dans un petit chapiteau, ou petit autel, fait exprès, on venait vénérer jusqu'à la fin du XVIème siècle une image de la Vierge Marie, dite de la Pitié et tenue pour miraculeuse. Elle fut transportée en 16736 dans l'église San Giovanni in Bragora et remplacée par une autre image qui demeura jusqu'en 1867, date de la destruction du petit autel et de la rénovation du pont. Nombreux parmi nos anciens peuvent se rappeler non seulement les cierges, les fleurs, les dons, et les tablettes votives qui l'ornaient mais aussi la vénération dont elle faisait l'objet , surtout de la part des marins. Actuellement elle est dans l'église de la Pietà.