LE PUITS SUR LE CAMPO DELL'ANGELO RAFFAELE

MARINO FALIERO

LE BOUCLIER DORIA

S. ERMOLAO

LES PIERRES TROUEES

LA TETE DE MARBRE DANS LA COUR DU THEATRE A SAN LUCA

LA CORTE DELLA TERRAZZA

LE CAMPANILE DE S. GIOVANNI DU RIALTO

LES IMPRECATIONS ET LES PHRASES INJURIEUSES

LA CATRAMONACHIA

 

XXI

LE PUITS SUR LE CAMPO DELL'ANGELO RAFFAELE

La famille Arian, venue parmi nous depuis Ariano dans les Pouilles, fonda, comme certains le disent, l'église dell'Angello Raffaele, et plus tard ce magnifique palais qui surgit non loin, et qui aujourd'hui est à usage d'école publique.

Au début, les Arian appartenaient au Conseil mais ensuite ils en furent évincés.

Un certain Marco de cette famille ordonna, dans son testament du 19 mai 1348, conservé par Giovanni Cresci et publié le 16 juillet de la même année par le prêtre Ogniben, curé de S. Giovanni du Rialto que, sur le campo dell'Angelo Raffaele on construisit deux puits avec son écusson, ses armes et que sur chacun des deux, on écrivit "sia chomune al puovolo et boni homeni della contrada"

Aujourd'hui, sur le campo on peut voir seulement l'un des deux puits avec l'écusson d'Arian gravé sur les deux côtés, le nom de Marco Arian et la date du 13 juillet 1349 sur les deux autres côtés. Sous l'inscription, il y a le signe ou le chiffre de Marco Arian. Quelques uns prétendent que les mots "major S. Raphaelis" qui se lisent sur l'épigraphe posée sur sa tombe dans le cloître des Carmini sont la preuve qu'il fut le chef du quartier de l'Angelo Raffaele.

De tout ce que nous avons exposé, on voit clairement l'erreur de Selvatico, qui prit le sus-dit Marco Arian pour un maître architecte et crût qu'il était à l'origine du dessin du puits, alors qu'il n'en était que l'exécuteur.

XXII

MARINO FALIERO

On a écrit que Michele Steno, jeune patricien, lors d'un bal donné au palis ducal en 1354, ayant fait une plaisanterie indécente à une dame de la cour, peut être même à l'épouse du doge Marino Faliero, celui-ci le fit chasser de la salle. C'est pour cela que, par vengeance Steno écrivit au dessus du siège ducal :

Marino Faliero a une belle femme.

Lui l'entretient, les autres en jouissent.

Il faut apporter une rectification. Dans les extraits de quelques morceaux des registres de la Quarantia Criminale, que cite Sanuto, on ne parle pas du tout d'une telle injure faite à la dogeresse, mais on note seulement que le 19 novembre 1354, le Conseil des Dix chargea les magistrats d'emprisonner Michele Steno et d'examiner son cas ainsi que ceux de Pietro Bollani, Rizzardo Marioni, Moretto Zorzi, Michele Molin et Maffeo Morosini accusés d'avoir écrit dans la salle des deux cheminées du palais ducal diverses paroles malhonnêtes, insultant le doge et son neveu ou (comme d'autres le pensent) sa nièce. Pas même parmi les chroniqueurs de l'époque, Caresini et Trévisan ne font mention de l'injure directe à la dogeresse.

On écrivit encore que indigné par la douceur de la peine prononcée contre Steno, le doge ordonna la célèbre conjuration qui, le 17 avril 1355 le traîna à l'échafaud.

Là aussi, petite rectification : ce n'est pas dans le ressentiment du doge que l'on doit rechercher la raison du complot mais plutôt dans sa nature ambitieuse. Profitant du mépris des Arsenalotti et de certaines gens du peuple contre la secte patricienne, il aspirait à devenir le maître absolu de Venise . Le caractère de ce complot est révélé par les paroles prononcées, selon Sanuto, par Ghisello, amiral de l'Arsenal lors de sa rencontre avec le doge : Messire le Doge, si vous voulez vous faire Seigneur et faire tailler en morceaux tous ces beaux gentilshommes, je me sens le courage, avec votre aide de vous faire Seigneur de cette terre et alors vous pourrez les châtier tous.

 

XXIII

LE BOUCLIER DORIA

Les génois étant vaincus, en 1380, le doge Andrea Contarini fit son retour solennel dans la cité, portant avec lui le riche butin pris à ses ennemis. Il y avait entre autres une espèce de bouclier qui avait appartenu à Pietro Doria, capitaine général des génois ou à Paganino, son neveu. Ce bouclier était en cuir cuit et portait en son centre S. Giorgio, écusson des génois, fait en plâtre doré, indice que ça n'était sans doute pas un bouclier de bataille mais plutôt une enseigne navale. A l'époque de Sansovino, on le conservait dans la maison de Francesco et Girolamo Contarini de Ss. Apostoli, puis en 1767 celle de Tommaso Contarini de S. Maria Zobenigo.

Ensuite, par le mariage avec une Contarini, il devint propriété d'un Piccoli qui le vendit pour 3000 lires à un français, lequel le revendit pour 25000 lires toujours en France. Il est déplorable que ce vestige soit sorti de notre patrie, tout comme l'épée, la cuirasse, le casque et le éperons d'Enrico Dandolo, ainsi que beaucoup d'autres objets historiques ayant appartenus à notre histoire.

XXIV

S. ERMOLAO

Sous le portique latéral de l'église de S. Simeone Profeta, existe dans le mur une espèce de petite niche de marbre, où entre deux colonnettes cannelées l'on peut voir un gisant.

Entre deux anges qui portent des encensoirs dans la main droite, qui écartent un rideau avec la main gauche, campe une figure portant des vêtements sacerdotaux, les bras ouverts dans la position de celui qui prie. L'on pourrait croire qu'il s'agit de San Simoneone Profeta mais en réalité il s'agit de San Ermolao dont les restes furent portés à Venise et déposés en 1205 dans cette église. Cette sculpture dut construite en 1382 avec les dons qui durent rapidement recueillis par la confraternité en l'honneur de San Ermolao.

Au début, elle était abritée sous le portique de l'église face au campo, portique aujourd'hui détruit. Nous espérons que comme s'envolèrent quelques gracieuses colonnettes ou chapiteaux, placés à proximité, ne soit pas volé aussi cette construction, fait qui malheureusement ne serait pas insolite de nos jours.

XXV

LES PIERRES TROUEES

Qui se balade dans Venise peut voir ça et là deux (ou plus) pierres trouées qui s'avancent parallèlement à de vieux édifices. S'il n'y en a qu'une, c'est que la (ou les) autre(s) ont été ôtées et ont servi à de nouvelles fabrications. Il paraît naturel que des trous doivent servir à recevoir quelque chose mais on se sait pas exactement dans quel but ils étaient faits.

Selvatico dans son guide de Padoue, en parlant de sa maison à Santa Lucia dit que probablement ces pierres devait soutenir de grosses barres de fer, ou de bois, pour tenir fermement les palissades à usage de protection, avec lesquels on fortifiaient les palais habités par les nobles, lorsqu'ils étaient assaillis par l'ennemi.

Mais si cela n'est pas impossible, en parlant de Padoue ou d'autres cités, on ne peut le prendre pour certain en parlant de Venise qui fut toujours à l'écart des tumultes intérieurs et des discordes féodales.

D'autres prétendent que dans les trous de ces pierres on enfilaient quelques pieux pour y suspendre les tissus de laine et les faire sécher après la teinture. Mais comment les teinturiers pouvaient disposer à Venise de tant de maisons et non des moindres ?

D'autres encore disent qu'on y accrochaient le linge après la lessive.
D'autres enfin affirment que ces trous servaient à maintenir les gouttières. Cette opinion paraît la plus vraisemblable et serait appuyée par quelques indices retrouvés sur des documents anciens.

XXVI

LA TETE DE MARBRE DANS LA COUR DU THEATRE A SAN LUCA

Sur une console en saillie en haut d'un immeuble, elle semble être la tête d'une vieille dame. Mais qui représente-t-elle ?. Nous ne pouvons le préciser. Il est seulement permis de penser qu'il s'agit d'une dame de la famille Querini. Cela se déduit de la lecture de deux actes de vente (1381,1388) dans lesquels il est dit qu'elle ne pouvait être déplacée qu'à la demande Bertuccio Querini.

Il est probable que c'est de cette tête mentionnée ci-dessus qu'on trouve l'origine de l'enseigne de le Vieille que porte la pharmacie du Campo de S. Luca, qui, avec son arrière boutique arrive jusqu'à la cour du théâtre, avec même une petite sortie juste sous la tête.

On aperçoit sur le même mur les armes des Bembo et de Moro, réunis, et l'écusson de la confraternité de S. Rocco. Ceci parce qu'au XVIème siècle la maison passa des Bembo aux Moro et finalement à la confraternité de S. Rocco. Dans les dessins des édifices qui appartenaient à cette confraternité et que l'on conserve dans les archives d'Etat aux Frari, on peut voir celui de cet immeuble, dont la façade qui donnait sur le Campo de S. Luca était alors de style gothique.

 

XXVII

LA CORTE DELLA TERRAZZA

(La cour de la terrasse)

A côté de l'Ospedaletto, par un obscur porche, on entre dans une petite cour, où s'admirent les restes d'un ancien petit palais, qui, avant que furent bâties les grandes maisons d'aujourd'hui, abritait la "Barbaria delle Tole".

A première vue, on aperçoit un escalier recouvert d'un beau tympan de style lombard.

L'escalier passe sur trois arcs, avec un garde-fou couvert de bas en haut par des plaques de marbres décorées. Les marches gardent la traces de cannelures et la porte qui se trouve au dessus d'une petite terrasse, qui donne son nom à la cour est digne de tout l'ensemble.

Ce palier a donc sa façade décorée à l'extérieur et est soutenu par un arc plus grand aujourd'hui à moitié recouvert par une muraille grossière, qui divise la cour. La margelle du puits est décorée par la représentation d'une horloge, de masques, de feuille d'acanthe et autres sculptures. Grewenbroch qui a fait le dessin de cette margelle, la dit sculptée avec une antique élégance et appelle cette cour non pas cour de la terrassa cour de la maison Magno, les établissements administrés ici appartenant sans doute à cette époque à cette noble famille.

Il n'est pas vrai qu'existait ici un laboratoire où l'on fondait l'or servant à frapper la monnaie, parce que cela se faisait à l'Ospedaletto , dans un bâtiment situé derrière l'hospice , aujourd'hui disparu, mais sur le mur duquel on peut encore cependant apercevoir l'empreinte su lion de Saint-Marc, détruit par la rage démocratique.

 

XXVIII

LE CAMPANILE DE S. GIOVANNI DU RIALTO

Nombreux sont ceux qui parlent de l'époque où fut érigé le campanile de S. Giovanni Elemosinario, ou du Rialto (1399-1410), ainsi que des écussons ducaux avec figures et traits que l'on peut découvrir dessus. Nous ne parlerons cependant que d'une curieuse œuvre mécanique qui formait un de ses ornements de première importance. Au début du XVème siècle Gasparo Ubaldini y construisit une horloge où deux hommes sonnaient les heures et, avant qu'ils le fassent, sortait à chaque heure un coq qui chantait trois fois. Le même Ubaldini dit à la communauté de Sienne : "Faites savoir que j'ai fait l'horloge du Rialto à Venise, celle qui sonne les heures et où un coq vient chanter trois fois à chaque heure" (Voir les documents pour l'histoire de l'art siennois, recueillis et illustrés par le dottore Gaetano Milanesi. Sienne. 1845)

L'œuvre de Ubaldini fut détruite dans l'incendie de 1514 qui enflamma l'église voisine. Sanuto écrit qu'à cette occasion s'enflamma le haut du campanile où étaient deux hommes qui sonnaient les heures. Ils brûlèrent avec tout le toit

XXIX

LES IMPRECATIONS ET LES PHRASES INJURIEUSES

Notre peuple aussi, tout comme les autres, avait ses façons d'offenser les autres par la parole.

Il était courant de clouer le bec à l'adversaire. On lit dans les chroniques que Bartolomeo Memmo dit à ses partisans, en 1480, en parlant d'autres patriciens : "jetons les à l'eau, pieds et mains liés, en commençant par ce gros Christoforo Moro!"

Aux dames, on pouvait donner du v….et ce titre, et même pire, fut attribué en 1490 par Leonardo Vessiga à Maddalena, épouse d'Antonio Rosso, qui passait par le pont de S. Giocamo dall'Orio. On lit qu'en 1410, Francesco Baldovino injuria au Rialto, Barbone Barbaro, officier aux Beccherie, avec ces mots : "Que le vomi te vienne dans la barbe"

On disait souvent : "Ve vegna la giandussa" = "Que viennent les bubbons ("Giandussa": était le nom donné à la peste entre 1348 et 1360)

ou encore : "Ve nassa el vermocan" = "Que naisse la maladie de la vache folle"

Cette dernière imprécation était très répandue et difficile à éradiquer, si bien que les seigneurs de la Nuit, jusqu'en 1303, promulguèrent une loi afin que, personne, par injure, ou pour autre motif, ne soit traité de la sorte, avec la menace d'une amende de 20 sous aux contrevenants

XXX

LA CATRAMONACHIA

Ce mot, dérivé du grec était synonyme de sorcellerie. On croyait que, par ce moyen, on pouvait empêcher les autres de manger, de boire et de dormir. Il faisant trembler les gens Il les clouait au lit avec la fièvre et des maladies inconnus. Il les privait de la faculté de jouir des douceurs de l'amour et de procréer. Il les forçait, contre leurs volontés, à des haines et des amours.

Comme, selon la croyance populaire, de tels arts étaient venus des grecs, on conduisit plusieurs malades devant quelques prêtres grecs pour conjurer le mauvais sort.

Dans les anciens documents, celui qui lançait les sorts décrits ci-dessus était nommé "faiseur d'herbes" et à juste titre parce qu'occupaient la première place, les filtres qui étaient faits essentiellement à partir d'herbe. En cela, plus que les autres , les esclaves étaient maîtres et c'est pour cela qu'une loi du 18 octobre 1410 ordonnait que tous ces esclaves et autres personnes qui avaient fait quelques herbes, ou qui avaient donné à manger quelque chose susceptible de troubler la santé de l'âme ou du corps soient torturés, exposés à la risée et bannis.

Les procès de sortilège et de sorcellerie étaient confiés aux Exécuteurs contre les blasphèmes et l'on en trouve beaucoup de curieux tout au long du gouvernement de la République. Celui de Caterina degli Oddi, en 1749, fut rapporté par Mutinelli et Armando Baschet dans ses Mémoires. Il est dans nos Archives.