LE LIBERTINAGE DES RELIGIEUSES

L'ANGE DU CAMPANILE DE SAINT-MARC

LA VIERGE VENITIENNE

DEUX CURIEUSES SCULPTURES AU DESSUS DU PALAIS CAMERLENGHI AU RIALTO

LES PREMIERES BOUCLES D'OREILLE

AVER UN TRENTUNO - AVER UN TRENTASSIE

LA BELLE BAROZZA

LORENZINO DE MEDICIS

L'AUBERGE DU PELERIN

FRA MATTEO DA BASCIO

 

LI

LE LIBERTINAGE DES RELIGIEUSES

Grand était le libertinage chez nos religieuses, lesquelles au début vivaient sans être cloîtrées, si bien qu'elles pouvaient accueillir toute personne qu'elles désiraient dans l'enceinte sacrée.

Parfois, sous le prétexte d'une santé fragile, elles se faisaient accorder le permis de séjourner pour plusieurs semaines dans leurs familles. Mais en réalité elles partaient pour un séjour à la campagne avec leurs amants sur la terre ferme. Sanuto raconte qu'en 1509 les sœurs de la Celestia admirent dans leur couvent une bande de jeunes patriciens, avec lesquels elles dansèrent toue une nuit au son des fifres et des trompettes.

Et puisque la mauvaise habitude s'était répandue en dehors de Venise, nous lisons encore sus la plume de Sanuto : le 6 mai 1519 se tint une audience concernant les monastères de la régions qui sont de vrais lupanars

La clôture ayant été instituée, les scandales s ne cessèrent pas pour autant. Il n'était pas rare que les religieuses, grâce à des entremetteuses habiles, rejoignent le but désiré.

On peut lire que des hommes furent retrouvés cachés dans leurs cellules, que des personnes masquées venaient les divertir dans leur parloir, que de jeune gens venaient faire banquet pendant qu'elles les regardaient à travers les grilles, qu'elles y prenaient même part, les jeunes hommes leur passant à travers les grilles des pailles adéquates leur permettant de boire dans leurs verres.

Quelques unes, comme la sœur Maria de Riva, dont nous parlerons plus loin, se permettait même de sortir la nuit travesties avec leur amant et de fréquenter quelque banquet.

De tout cela on a la preuve par les procès pénaux de l'époque et par divers écrits qui, outre les choses déjà dites, déplore les vêtements mondains des religieuses, le manque de discipline et le total désordre qui sévissait les derniers temps, sinon dans tous, mais au moins dans quelques uns des couvents de la cité.

 

LII

L'ANGE DU CAMPANILE DE SAINT-MARC

Le tremblement de terre e 1511 ayant gravement endommagé ce campanile, on chargea l'architecte Bartolomeo Buono de la réfection de l'ouvrage avec l'adjonction d'un étage et d'un pinacle sur lequel on fixerait la figure de l'ange Gabriel, girouette de bois, revêtue de lames de cuivre doré, avec en son sommet une croix et une banderole

Sanudo écrit : " 6 juillet 1513. En ce jour fut dressé l'ange doré de Saint-Marc, à 20 heures, avec trompettes et fifres. On jeta du vin et du lait en signe d'allégresse. On pria Dieu pour que cette République soit prospère". Sanudo raconte encore que le général Bartolomeo Alviano, en compagnie d'autres seigneurs et gentilshommes, étant allé rendre visite aux ouvriers du campanile et étant arrivé juste au moment de la mise en place de l'ange eut l'agréable surprise d'être nommé capitaine général de la République . Se tournant alors vers le messager, il dit : "Je n'ai rien d'autre, pour l'heure, à te donner sinon ce vêtement"

Se tournant ensuite vers l'ambassadeur de France, Teodoro Trivulzio :"Maintenant ,je suis le plus grand homme du monde"

Tandis que les siens lui recommandaient de descendre lentement pour ne pas tomber, il leur répondit : "Je ne suis jamais né, je ne mourrai jamais". On voit que l'annonce de sa nomination l'avait porté à plaisanter.

Mais revenons à notre ange. La foudre le précipita sur les boutiques qui entouraient le campanile en 1745. Il eut donc besoin d'une restauration. Chose faite en 1822 par le sculpteur Andrea Monticelli. Il fut redoré récemment en 1892.

Au temps de la République, c'était le but de nos plus courageux funambules, le jour du jeudi gras. On se souvient qu'un gondolier de la maison Lezze, en 1860, réalisa une brillante montée, reliant rapidement la piazzetta à la loge des cloches. Il monta ensuite sur le tête de l'ange où il réalisa plusieurs jongleries. Celui-ci, l'année suivante, attira la curiosité d' un public nombreux en montant jusqu'aux cloches, à partir d'une barque, faisant semblant de ramer, puis se tint en équilibre, les pieds en l'air sur l'ange, s'appuyant un instant sur la tête et les bras.

Après l'effondrement de 1902, l'ange fut retrouvé, tordu, brisé en morceaux devant la basilique. Munaretti le restaura patiemment, refaisant les parties manquantes selon le modèle du sculpteur néoclassique Luigi Zandomeneghi.

LIII

LA VIERGE VENITIENNE

Guglielmo Postel, ou Postello, né en 1510 en France, près de Barenton, fut un homme très savant ,mais visionnaire à l'extrême. Après avoir été envoyé par le roi François I en Orient, d'où il rapporta quelques manuscrits, il enseigna à l'Université de Paris. Il entra dans la compagnie de Jésus, où il eut des illuminations, des extases, des visions ; il fit beaucoup de choses étranges à tel point qu'il fut chassé de cette association. Se trouvant à Venise, il entra en familiarité avec un femme d'un certain âge. Il soutenait que la rédemption des femmes n'était pas encore accomplie et qu'elle devait s'accomplir à travers cette amie, que parfois il nommait Madre Giovanna. et d'autres fois la Vierge Vénitienne. Parmi les nombreuses œuvres publiées par Postel, on peut lire : L'admirable histoire, La Madre Giovanna, Les premières nouvelles de l'autre monde, Le livre de la divine ordination où il traite des choses miraculeuses survenues à Venise.

LIV

DEUX CURIEUSES SCULPTURES AU DESSUS DU PALAIS CAMERLENGHI AU RIALTO

 

Alors que le pont du Rialto était en bois, il avait souvent été question de le reconstruire en pierre, mais de nombreuses circonstances et surtout le coût avaient fait qu’aucune résolution n’avait été prise dans ce sens. Les opinions étaient variées, certaines gens le voulant de pierre et pas les autres. De ce second avis étaient deux vieux, un homme et une femme, lesquels se trouvant, un jour, à boire dans une taverne du Rialto. Il s’engagèrent dans une âpre dispute avec leurs opposants et le vieux se mit à s’exclamer : "Si le pont se réalise, je veux qu’il me naisse un ongle entre les cuisses". Et la vieille : "Et moi, que mon sexe s’enflamme". C’est à ce pari, diffusé dans toute la cité, selon la tradition, que Giugliemo Bergamasco fait allusion dans les deux sculptures érigées par lui au dessus d’un pilier à proximité du palais Carmelenghi. Sur un des piliers : les flammes brûlent le ventre d’une dame assise , sur le pilier opposé, un long doigt recouvert d’un ongle descend entre les jambes d’un homme lui aussi assis. Le sculpteur a peut-être voulu s’en tenir à la lettre de l’exclamation du vieux et non au sens qu’on pouvait lui donner

La construction du pont en pierre qui suivit donna tort au vieux et pleinement raison à leurs contradicteurs.

LV

LES PREMIERES BOUCLES D'OREILLE

C'est étrange que les dames vénitiennes tellement désireuses de se parer de ceintures, d'anneaux, de colliers et d'autres ornements, à tel point qu'on dut adopter contre un tel déploiement de luxe plusieurs lois, n'adoptèrent pas les boucles d'oreille avant 1525.

La première à les adopter fut une certaine Sanuto, épouse d'un Foscarini. En fait, le chroniqueur Marin Sanuto, de la même famille qu'elle, écrit, le 6 décembre 1525, que parmi les nobles dames invitées à une fête donnée dans la maison de Bragadin, pour les noces d'une de ses nièces avec Lorenzo da Mula, il y avait la fille de Filippo Sanuto, épouse de Giovanni Foscarini, "laquelle, à la manière des maures s'était fait percer les oreilles et portait une grosse perle suspendue à un anneau d'or. Elle était la seule et je n'aimais pas du tout."

Cependant, en dépit de la désapprobation des vieux, cette mode ne tarda pas à se généraliser, les boucles ayant diverses formes, en matière plus ou moins précieuse, selon ses conditions. Elles sont et seront toujours un délice pour le beau sexe.

LVI

AVER UN TRENTUNO - AVER UN TRENTASSIE

 Ces deux expressions populaires sont synonymes de : avoir une grande peur

Commençons par la première. Angela del Moro surnommée la Zaffetta parce que fille d'un sbire (zaffo) était une célèbre courtisane de Venise au XVIème siècle. Parmi ses galants on comptait le poète Lorenzo Venier, auquel, on se sait pourquoi, elle refusa un jour d'ouvrir sa porte. Venier voulut s'en venger à la manière d'un faquin. Il la fit conduire a Chioggia le 6 avril 1531 où, en une seule nuit il la fit "se mesurer" à 31 "champions"

A la suite de quoi il narra l'histoire dans un petit poème intitulé : Il Trentuno, qu'il plaça en bas de l'autre poème composé par lui même ayant pour titre "Les putains errantes"

C'est pourquoi l'Aretino, ami de Venier, fait dire à l'un de ses personnages dans sa Courtisane : "Tu ne voudrais pas que j'en couvre un trente et unième comme Angela del Moro", ce qui signifie : Tu ne voudrais que je me retrouve dans la même situation que celle qu'Angela dut subir avec épouvante quand il lui arriva cette aventure

Pour l'autre expression, "aver un trentassie" Quelques uns voudraient lui donner pour origine la peur des vénitiens quand apparut pour la première fois, en 1836, le choléra.

Mais le dicton est plus ancien et justement déjà en 1836, Tommaso Locatelli dans un plaisant article paru sur le numéro 36 de la Gazette de Venise attribut l'origine de l'expression à la "cabale du loto" (ensemble de techniques pour deviner les numéros qui seront extraits). Parmi ces techniques : l'épée, le bâton, l'estoc (autre arme blanche), l'hérésie.

Ajoutons que dans la pratique le sens de la chose se transforma et ainsi le 36 devint synonyme de peur.

LVII

LA BELLE BAROZZA

Au XVIème siècle, s'épanouissait dans Venise Elena Barozzi, femme du cavalier Antonio Zantani. Dotée d'une grande beauté, on l'appelait communément la belle Barozza, compliment à sa beauté plus appréciable que celle que Bonaparte voulut dans des temps plus proches attribuer à une dame de Ca' Gradenigo, qu'il surnomma "la belle par décret"

Nombreux étaient les admirateurs d'Elena, parmi lesquels notons, par curiosité, Lorenzino de Médicis, l'assassin du duc Allessandro, qui s'était réfugié parmi nous craignant la vengeance du duc Cosimo.

Le capitaine Franscesco Bibboni, un des deux tueurs à gages envoyés à Venise pour le tuer, dit dans son rapport que, avant de pouvoir le saisir, deux fois le sort lui fut contraire : la première fois Lorenzo étant allé chez sa bien aimée la belle Barozza et la seconde s'étant rendu pour dîner à Murano en compagnie du sieur Giovanni della Casa, le célèbre auteur du Galateo, alors nonce apostolique à Venise

La Barozzi fut louée par Domenichi dans son livre intitulé : La noblesse des Dames et par Brusantino dans son poème : Angelica. Titien et Giorgio d'Arezzo firent le portrait ; en fait témoignage l'Aretino dans son Epistolaire où l'on peut lire un sonnet où s'entremêlent les louanges à Giorgio d'Arezzo et à la dame qu'il a peinte.

Nous savons qu'Elena rédigea de sa main son testament le 23 janvier 1580 dans le quartier de S. Barnaba et le présenta à Cesare Zibilio, chancelier inférieur.

 

LVIII

LORENZINO DE MEDICIS

(Le Lorenzaccio de Musset)

 

Lorenzino de Médicis avait tué par traîtrise son cousin Alexandre de Médicis, premier duc de Florence depuis douze ans. Craignant la vengeance du duc Cosimo, successeur d'Alexandre, il avait trouvé refuge à Venise, où, subventionné par les Strozzi, il s'adonnait plus que possible aux plaisirs, courtisant les belles et assistant aux divertissements donnés dans la ville.

Cosimo expédia, comme nous l'avons précédemment dit, deux tueurs à gages de confiance à Venise, lesquels, le 26 février 1548, s'étant postés sur le campo San Polo où habitait Lorenzino le tuèrent d'un coup et blessèrent avec un poignard empoisonné son oncle Alessandro Soderini qui mourut rapidement. La mère de Lorenzino arriva à temps pour recueillir le dernier soupir de son fils, l'assassinat duquel fut dissimulé par le gouvernement par déférence à Cosimo et à l'empereur Charles V, protecteur de Cosimo, tandis que les deux tueurs aidés par l'ambassadeur d'Espagne purent fuir le territoire vénitien

 

LIX

L'AUBERGE DU PELERIN

L'auberge à l'enseigne du Pèlerin appartenait aux procurateurs de Saint-Marc, ainsi que d'autres auberges. Elle était située sur la piazzetta, face au palis ducal. On en ordonna la destruction en 1544, pour y mettre à la place la Libreria et l'auberge se déplaca dans la Salizzada Dei Spaderi, dite aussi Corazzeria, aujourd'hui calle Larga.

A la même époque, on abattit une maison pour mettre en communication cette rue avec la Merceria de l'Horloge.

On a trace qu'en 1549, l'auberge du Pèlerin n'était pas encore achevée. Cette année là, l'exploitant de cette auberge, G. Antonio chercha querelle à un groupe d'amis qui déjeunaient et porta à l'un d'eux, un certain Giorgio, agriculteur, deux coups de couteau qui entraînèrent sa mort. Environ trois ans plus tard G. Battista Bergamasco, cuisinier de l'auberge du Pèlerin blessa mortellement le marchand Lucillo.

Cette auberge était célèbre pour ses délicieux plats et c'est pourquoi Goldoni, dans son "Epouse sagace" s'exprime ainsi :

C'est un plaisir d'aller en compagnie

Un jour dans une osteria, un jour dans une locanda

De faire préparer le diner

De le faire servir par le cuisinier de l'auberge du Pèlerin

Aujourd'hui, il ne reste plus mémoire de l'auberge que dans la dénomination de la rue attenante et l'enseigne d'une pâtisserie qui s'est ouverte non loin.

LX

FRA MATTEO DA BASCIO

Il fut le fondateur de l'ordre des Capucins et obtint la renommée pour avoir mené une vie très sainte. Il avait l'habitude d'aller à travers la ville pour prêcher et on le vit, un beau matin , entrer dans la salle d'un tribunal avec un mât auquel était suspendue une lanterne, en train de chercher. A celui qui lui demandait ce qu'il cherchait, il répondit : "Je cherche la Justice". Une autre fois, il apparut à la Quarantia Criminale, en criant : "A l'enfer tous ceux qui administrent si mal la justice! A l'enfer tous les puissants qui oppriment les pauvres par la force! A l'enfer tous ceux qui condamnent les innocents". Pour cela, il fut chasser du palais et astreint à résidence à la Chioggia pour quelque temps. On lui attribue de nombreux miracles. On raconte que, par son intercession, un maçon étant tombé du toit d'une maison dans la Calle Lunga à S. Maria Formosa, il resta suspendu dans les airs jusqu'à ce qu'on ait eu le temps d'étendre un matelas pour en adoucir la chute.

Mais plus grand encore est le miracle suivant attribué à père Matteo da Bascio. Un jour, il fut invité à déjeuner par un avocat de la Curie Ducale, son ami, qui bien qu'étant une personne dévote, avait l'habitude d'accroître ses gains de manière malhonnête. Celui avait chez lui un gros singe, qui le servait, comme un valet, pour les choses de la vie courante. Or, quelle fut sa surprise, quand, ce jour là, il vit l'animal ne pas vouloir obéir, prostré dans un coin de la pièce. Le père, ayant appris, de source divine, que sous ces apparences, se cachait un démon, lui demande pour quelle raison il était entré dans cette maison. Il s'entendit répondre qu'il avait fait cela pour faire sortir, quand elle y serait, l'âme de l'avocat en enfer. Il lui ordonna alors de partir, ce que le démon fit en perçant le mur.

Assis à table avec l'avocat, Matteo da Bascio lui reprocha ses fautes et tordant le bout de la nappe, il en fit sortir du sang en grande quantité, disant être le sang des pauvres, qu'il avait sucé avec tant d'injustices commises. Il lui ordonna de faire boucher le trou fait par le diable dans le mur par la figure d'un ange. Cette sculpture se voit toujours sur la façade du palais, qui, pour cette raison, est dit "de l'Ange" et à donner son nom aux rues voisines.

Fra Matteo da Bascio, mort en 1552, fut enseveli à S. Francesco della Vigna et repose au nombre des bienheureux.