LES DEUX SCULPTURES SUR LA FACADE DU PALIS CONTARINI A S. SAMUELE

GIROLAMO POLIDORO

LA VENGEANCE D'UN BALBI

DEBAUCHE DES PRETRES DE S. CASSIANO AU XVIème SIECLE

GIOVANNI SANUTO

UN FRERE QU'ON CROIT FOU

FRANCESCO BARROZZI

MAMUGNA ET FRERE PAOLO SARPI

ABUS DE POUVOIR D'UN PATRICIEN

ANTIQUE PROJET D'UNE FONTAINE D'EAU DOUCE SUR LA PLACE SAINT-MARC

 

LXXI

LES DEUX SCULPTURES SUR LA FACADE DU PALIS CONTARINI A S. SAMUELE

A S. Samuele, sur le Grand Canal, entre le palais Lezze et un des quatre palais Mocenigo, surgit un autre palais de style lombard, d'abord possédé par une branche de la famille patricienne Foscarini. Il a été surnommé palais "aux figures" parce que deux sculptures, l'une représentant un homme, l'autre une femme se trouvent au dessus de l'arc de son embarcadère.

Nous ne savons pas qui sont ici représentés, d'autant plus que ces figures semblent avoir été apportées d'un édifice plus ancien. Une tradition populaire cependant veut que l'une représente un homme désespéré d'avoir tout perdu au jeu, y compris sa femme et l'autre la femme restée ainsi trahie.

Nous avons voulu faire état de cette croyance rapportée par les chroniqueurs sans y donner aucun crédit et sans vouloir y donner plus d'importance que n'en mérite les habituelles croyances de ce genre surgies de l'imagination populaire.

LXXII

GIROLAMO POLIDORO

Marcantonio Bragadin après avoir défendu jusqu'au bout Famagosta, assiégée par les turcs, capitula en 1571, la vie sauve mais ensuite le cruel pacha le fit écorcher vif, le fit empailler et le fit traîner à travers les rues de la ville sur le dos d'une vache. Quelques années plus tard, Girolamo Polidoro, soldat de Vérone, fait esclave par les turcs, put ravir la dépouille de l'arsenal de Constantinople, où elle était conservée, la fit parvenir à l'ambassadeur qui l'expédia à Venise où d'abord déposée dans un pilier de l'église de S. Gregorio, elle fut ensuite placée dans le monument érigé à Bragadin dans l'église de SS. Giovanni et Paolo . Girolamo Polidoro, héros de cet enlèvement envoya au Sénat, le 13 février 1587, la supplique suivante, où avec peut-être un peu d'exagération il expose les tourments subis lors de son entreprise.

"Sérénissime prince,

Moi, Polidoro de Vérone, au service de cette grande République, fait esclave et n'oubliant pas dans ma vie d'esclave ma dévotion à la République, ne craignant aucun danger, j'ai été ce très heureux martyre, qui à la demande du très illustre Tiepolo, alors ambassadeur à Constantinople, enleva d'une maison de l'arsenal la dépouille de Bragadin et la porta entière et sauve à l'ambassadeur, avec cette vertu et ce courage et l'infinie dévotion que je porte à votre Sérénité. Ce qui m'est arrivé ensuite est horrible à entendre aux oreilles d'un prince religieux et clément, et insupportable à tolérer à l'humaine nature. Parce que accusé de ce juste vol par les ministres turcs, j'ai subi d'innombrables tourments dont peut-être jamais personne n'est sorti vivant de mémoire d'homme. De nombreux jours je fus torturé, attaché à la corde les pieds en haut, tapé sur le ventre, le dos de trois mille coups de bâtons, battu sur la "nature" à tel point que j'en suis devenu eunuque. A moitié mort, je retournai à mes tourments, mais de nouveau attaché à la corde les pieds en haut, plié, un bâillon sur la bouche, la tête plongée dans un vase d'eau salée, j'ai souffert les plus terribles peines.

Après tous ces tourments, brisé, ruiné, réduit la mendicité, chacune de mes facultés étant réduite, je me suis finalement traîné aux pieds de votre Sérénité, que je supplie, pour l'amour du Christ, de m'accorder une provision de seize ducats par mois."

Quoiqu'il en fut, Polidoro fur seulement récompensé de cinq ducats par mois.

LXXIII

LA VENGEANCE D'UN BALBI

Le gentilhomme Nicolo Barbi n'avait pas de propre maison , si bien qu'il vivait en location. Il advint, peut-être par oubli, qu'il soit en retard d'un loyer. Le propriétaire le retrouvant un jour à travers les rues, lui jeta à la figures d'acerbes reproches pour ce retard. Ecoutez la vengeance de Balbi!

Il paya tout de suite et délogea, puis se mit à l'abri, lui et ses meubles d'une embarcation qu'il mit à l'arrêt sur le Grand Canal, devant la maison de celui qui l'avait offensé, le privant ainsi de la vue et de la lumière. Cela dura jusqu'à ce qu'il fit construire sur u terrain vague, qu'il avait remarqué en 1582, un noble édifice aujourd'hui connu sous le nom de "Palais Balbi dans le virage du Canal", parce que situé la où le Grand Canal tourne.

Ce palais est célèbre parce qu'en 1807, Napoléon admira de ses balcons le spectacle des régates données en son honneur par la municipalité vénitienne.

LXXIV

DEBAUCHE DES PRETRES DE S. CASSIANO AU XVIème SIECLE

Des deux visites apostoliques faites, l'une en 1581,l'autre en 1592, il apparaît que de graves désordres existaient alors dans les mœurs des prêtres de S. Cassiano, paroisse de notre cité.

On s'aperçoit, par exemple, que le premier prêtre titulaire de la paroisse, Filippo Rota, entretenait une intrigue amoureuse avec une dame domiciliée à S. Agostino ; que, plus tard il refusait , à son gré, d'écouter les confessions et de porter aux malades l'huile sainte, exigeant trois ducats pour ensevelir un défunt. Il était tombé amoureux également de la femme d'un gondolier et cachait chez lui des femmes de mauvaise réputation.

On trouve que le prêtre Pietro Gregorio Bervich jouait à la bassette (jeu de cartes) et que le sacristain Alvise Leopardo allait dans les boutiques de vin boire l'aleatico (vin toscan).

Nous avons trouvé ces renseignements en lisant Gallicoli, lequel, bien que prêtre ne voulut sacrifier la vérité historique pour l'honneur de sa caste.

Il est bien vrai que s'il y eut parmi nous des prêtres dévergondés, à toute époque, il y en eut de conduite irréprochable. De même comme nous avons déjà noté, si plusieurs de nos clercs étaient des exemples d'ignorance, nous avons aussi chez eux la preuve, généralement parlant, de beaucoup de science et d'érudition.

LXXV

GIOVANNI SANUTO

Giovanni Sanuto, domicilié à la Giudecca, était marié depuis 1584 à Lucrezia Cappello et en avait voulu 5 enfants, 3 garçons et 2 filles. Depuis longtemps pourtant, il était travaillé par une grande jalousie, qui le poussa la nuit du 11 juillet 1602 à tuer, simplement parce qu'il avait des soupçons, sa femme, lui ayant accordé, la veille, le droit de se confesser.

Après ce crime, il fut condamné à l'exil, par contumace, puis, celui-ci ayant franchi la frontière, à la décapitation avec une prime de 2000 ducats pour celui qui permettrait son arrestation.

Peu après, avec l'excuse de subvenir aux besoins de ses enfants délaissés, il obtint un sauf conduit pour deux ans, qu'il fit proroger plusieurs fois. Jusqu'à ce que, en 1621, ayant reçu des Cappello la carton de la paix, au moyen duquel la République accordait la faculté de libérer deux bandits, il put solder ses comptes avec la justice.

LXXVI

UN FRERE QU'ON CROIT FOU

Les frères de S. Domenico di Castello avaient l'habitude certains jours de carnaval de jouer quelques comédies auxquelles assistaient, parmi d'autres frères, plusieurs sénateurs.

Or, il arriva qu'en 1586 fut donnée une comédie où étaient représentés le vice et la vertu.

Dans cette comédie, un frère appelé Matteo da Brescia, déguisé en faquin disait du mal de la religion, ajoutant qu'il volerait l'ostensoir au pape et qu'il le décortiquerait. Il n'épargnait pas non plus les cardinaux qu'il aurait voulu, disait-il, envoyer aux galères.

On le fit rapidement descendre de la scène et on ne sut expliquer autrement les faits que par un accès de folie dont ce frère avait été frappé.

En vérité, si lui en interprétant le rôle d'un faquin vicieux devait exprimer des idées en conformité avec son personnage, il ne lui était cependant pas permis de dépasser les bornes de telle manière, même compte tenu de la grande liberté que pouvait donner le théâtre à l'époque.

LXXVII

FRANCESCO BARROZZI

Le patricien Francesco Barozzi, brillant mathématicien, d'origine de Candie, s'adonnait à l'étude de la nécromancie, de laquelle il espérait des miracles. Bien vite, étant tombé entre les griffes du Saint Office sous l'accusation de commerce avec les esprits infernaux et plus particulièrement accusé d'avoir béni un couteau au manche noir, qui avait servi à tuer un homme.

On l'accusait encore d'aller à travers la ville pour procéder à des envoûtements, montrant le diable dans une carafe, d'avoir eu des conversations avec deux sorcières, dont l'une portait l'hostie consacrée dans son sabot pour la rendre invisible.

Mais l'accusation la plus curieuse est la suivante. Le royaume de candie souffrant d'une grande sécheresse, Barozzi fit appel aux esprits, qui apparurent sous forme de deux vieillards et ordonna que la pluie tombe pendant trois jours et trois nuits sans s'arrêter dans tout le royaume. Les esprits obéirent ; la pluie vint mais alliée à la grêle. une terrible tempête souffla, qui endommagea une demeure de Barozzi et détruisit un moulin, causant 100 ducats de dommages.

Le procès s'acheva le 16 octobre 158è et la sentence fut une condamnation pour un laps de temps que fixerait les juges. On imposa à Baruzzi des pénitences pour son salut : prières, jeûnes, confessions, communions quatre fois par an et il dut dépenser 100 ducats pour l'achat de deux crucifix d'argent pour deux églises de Candie. De plus, le chroniqueur Savina raconte qu'on brûla sur la place Saint-Marc des tas de livres interdits, les uns imprimés, les autres manuscrits et une statue.

LXXVIII

MAMUGNA ET FRERE PAOLO SARPI

On trouvait à Venise, autour de 1590, Giorgio Bragadin, frère capucin défroqué, qui avait l’habitude de se faire appelé Mamona, dieu des Richesses, ou, couramment Mamugna, parce que utilisant le mercure et le mélangeant à d’autres minerais , il prétendait fabriquer de l’or.

Vêtu somptueusement, il parcourait la cité, précédé de trompettes, avec toute une suite, parmi laquelle on trouvait deux gros chiens de garde avec des colliers d’or. Il habitait au palais Dandolo à la Giudecca, où il faisait ses expériences, en présence de patriciens et d’ambassadeurs. Il avait acquis une telle renommée que, Henri IV, roi de France et Sixte VI le voulaient à leur cour.

Mais ayant découvert qu’il avait fraudé, il fut condamné à l’exil et trouva refuge en Bavière, où agissant de même il fut condamné à être décapité et brûlé en 1591.

A la même époque vivait le célèbre religieux Paolo Sarpi de la communauté des serviteurs de Marie. Certains prétendent que les deux hommes se rencontrèrent mais Sarpi voulut toujours s’en défendre même s’il poussa une bande de jeunes patriciens à se déguiser à la manière de Mamuga et à courir la ville avec des flacons, des soufflets, des récipients, fabriquant et vendant de l’or à 5 lires la pièce alors qu’une pièce n’avait pas presque rien coûté.

LXXIX

ABUS DE POUVOIR D'UN PATRICIEN

Leonardo Pesaro était le patricien le plus arrogant qu'il y avait à Venise à la fin du XVIème siècle. méprisant les lois et les magistrats il commettait toujours de nouveaux abus, de nouvelles violences. Un soir, en compagnie de quelques amis ils se rendit à une fête nuptiale, donnée dans la maison Minotto à S. Barnaba. Ils tuèrent là le patricien Paolo Lion et mirent sens dessus dessous toute la maison, courant çà et là, épées dégainées. Beaucoup furent blessés et offensés. Ils cherchèrent à éteindre les torches dans le but de faire butin.

On entendait ; "Celle ci, on l'a déjà faite! Otons ses perles à celle là.. et aux autres!" Ces propos furent confirmés par ceux qui s'étaient approchés de la chambre où la jeune mariée et d'autres gentil dames s'étaient enfermées.

Peu de temps après, Pesaro voyant danser une paysanne à un bal champêtre, il la fit ravir et la garda pour quelques jours à Noale, puis deux mois à Venise, avant de la laisser sur le pavé.

Une autre fois, il se rendit à la maison du juif Caliman et le menaçant de pousser contre un gros chien qu'il avait avec lui, il se fit remettre les clefs de la maison, des armoires qu'il vida entièrement, obligeant de plus Caliman à lui parvenir 50 ducats pour le jour suivant.

De telles actions sauvages et d'autres semblables ne pouvaient pas restées impunies. Une sentence du 3 avril 1603 le condamna à la perte de ses titres, au bannissement de tout le territoire vénitien, à la confiscation de ses biens. S'il était de retour, on promettait une récompense de 300 ducats pour celui qui le remettrait au main de la justice, et il perdrait sa tête sur l'échafaud

LXXX

ANTIQUE PROJET D'UNE FONTAINE D'EAU DOUCE SUR LA PLACE SAINT-MARC

Au début du XVIIème siècle, nos pères pensèrent équiper la place Saint-Marc d'une fonatien d'eau douce. Nombreux furent les projets imaginés pour amener l'eau sur la place, comme on peut le lire dans l'ouvrage publié pour la première fois en 1606 par Fabio Glisenti, intitulé : Discours moraux.

L'un voulait faire venir l'eau douce de la Brenta jusqu'à la place Saint Marc par des tuyaux souterrains ou passant sur des grands pieux.

D'autres auraient préféré qu'on construise sur la place des citernes recueillant l'eau de pluie et l'amenant dans une fosse profonde placée à l'endroit où l'on voulait faire jaillir la fontaine.

Malgré d'autres projets publiés sur le sujet, c'est celui ci qui devait être retenu et dans ce cas, selon Glisenti : on devait élever un vase métallique de grande capacité, le placer sur un piédestal, un nombre suffisant de graduations étant gravées. Sur le vase, au milieu, en laissant la place pour y introduire les tuyaux, un trépied posé sur une sphère représentant la mer qui porterait assise - ou en pieds - une Venise réalisée avec grand art. D'un côté du trépied : le Lion de Saint-Marc tenant sous l'un de ses pieds un livre ouvert et sous l'autre une boule. De l'autre côté, de la même grandeur, une licorne. Sur la table du trépied, on aurait pu poser une imposante statue sur laquelle on aurait gravé avec soin une devise à la gloire de la République. Enfin là où le trépied fait un angle obtus avec ses trois pieds, on poserait trois tuyaux d'une grandeur adaptée, proportionnels à la quantité d'eau recueillie dans les réservoirs.

Dans l'œuvre de Glisenti, l'image même de cette fontaine est représentée, mais non sans quelque considérable modification.

Rien cependant ne se fit pendant ce siècle et, seulement de nos jours, l'idée d'amener l'eau douce par un aqueduc ayant été abandonnée, on revint au projet de l'ériger au beau milieu de la place Saint-Marc. Ce à quoi beaucoup s'opposèrent craignant que par ce projet soit défigurée la place, et au contraire émirent l'idée de l'ériger sur la piazzetta des Lions, à l'endroit où, comme nombreux sont ceux qui s'en souviennent il y avait un grand puits, signalé par Gallicoli comme étant le plus profond de Venise.

Nous aussi sommes d'accord avec ce jugement.