PAUVRE DE NOUS! LES ESPAGNOLS ARRIVENT

UNE SCULPTURE DANS LA COUR DEL SANTISSIMO A SAN MAURIZIO

RENIER ZENO

ETRE EN CANDIE

LA COIFFURE DES DAMES

LES CHAUSSURES DES FEMMES

SIEUR ANTONIO RIOBA

EMANUELE SPINARA

LES PRINCIPAUX INCENDIES

LES TREMBLEMENTS DE TERRE

 

LXXXI

PAUVRE DE NOUS! LES ESPAGNOLS ARRIVENT

Le duc d'Ossuna, vice roi de Naples, avait semble-t-il le projet, avec sa flotte, de surprendre Venise et de la mettre sous domination espagnole. Mais comme cela ne pouvait se réaliser sans des trahisons intérieures, il engagea quelques uns des nôtres, corrompit la fidélité de quelques sénateurs, subordonna des milices, rassembla quelques rebelles, prêts à agir le moment venu. Une lettre anonyme, datée du 9 avril 1608, retrouvée au Collège, donna vent au gouvernement de la trahison et les principaux coupables furent vite découverts. Parmi eux, Nicolo Renault et deux frères De Bouleaux furent condamnés à être étranglés en prison. Giacomo Piere, corsaire normand, et Lunglade qui avaient été enrôlés sous la bannière de Saint-Marc furent déchiquetés sur la place. Giovanni Reveud et Giovanni Tornon durent mourir pendus. Pour finir, Michele Valenti et Lattei furent étranglés. Pendant ce temps une curieuse peur avait envahi Venise et le dicton, titre du présent article en apporte la preuve.

LXXXII

UNE SCULPTURE DANS LA COUR DEL SANTISSIMO A SAN MAURIZIO

Dans cette cour, on aperçoit, au dessus de la porte d'une maison l'image du Saint Sacrement, avec une inscription, où l'on apprend que Pietro Caimo, médecin dédiait à dieu cette maison, et toutes ses autres propriétés, le 7 septembre 1665, jour de la nativité de la Vierge Marie.

On a retrouvé le testament que Pietro Caimo, médecin de Udine rédigea le 1 novembre 1675, dans les actes de Andrea Calzavara, avant de se faire moine au couvent de Rua. Il énumérait parmi ses biens : une maison qu'il avait acheté à Venise en 1659 aux Procurateurs de la Supra, située à S. Maurizio au traghetto, sur la fondamenta, une autre à l'intérieur de la cour dite du Très Saint, sur la porte neuve de laquelle il avait fait faire une sculpture du saint sacrement en pierreavec l'inscription "Regi Seculorum…"

Cette famille de Udine, Caimo, fut célèbre pour d'autres médecins, comme Zaccaria, qui, en compagnie de Nicolo Bordone, fut appelé pour soigner la reine Marie d'Autriche, et pour Pompeo, professeur de médecine à Rome, qui mourut de la peste à Udine en 1631.

LXXXIII

RENIER ZENO

Il y a un bout de temps que Renier Zeno, un des membres du Conseil des Dix, invectivait de la tribune contre la mauvaise administration de l'Etat et contre les abus de la noblesse, n'épargnant même pas le doge Giovanni Corner et ses fils. Un soir de 1627, le conseil étant terminé, alors qu'il venait de descendre l'escalier des Géants, il fut agressé par quelques hommes cachés derrière les colonnes, sous les portiques, qui le rouèrent de coups et disparurent croyant le laisser mort. Grand bruit dans la ville aux premières rumeurs de ces faits et plus encore quand la famille de Zeno présenta au Conseil des Dix ses vêtements lacérés et couverts de sang, demandant justice à haute voix. On promit donc 10000 ducats et d'autres récompenses à qui donnerait des informations et en peu de temps, on découvrit l'auteur dans la personne de Giorgio Corner, fils du doge. Il se réfugia un temps à Ferrare et ne put faire autrement que de se démettre de ses titres de noblesse. Il fut condamné avec ses compagnons à l'exil à vie. Entre temps, Zeno, remis sur pied, repris sa croisade contre les violeurs des lois, si bien qu'il fut condamné puis gracié. Finalement, on fut obligé d'en arriver à la fameuse réforme du Conseil des Dix, plus illusoire que réelle, lui ôtant pratiquement toute son autorité.

LXXXIV

ETRE EN CANDIE

La guerre de Candie fut particulièrement terrible, dura 25 ans ; la valeur de nos pères y brilla, lesquels, avec de nombreux sacrifices de sang et d'argent, purent pour longtemps repousser les forces ottomanes. Lors des nombreux sièges et assauts qui se succédèrent dans l'île, outre les milices, se distinguèrent les habitants de la cité assaillie, les nobles et les gens du peuple s'exposant aux plus grandes fatigues et aux plus grands dangers, travaillant pour se défendre, y compris les femmes, guidées par la femme du major Battagia Mora qui périt comme tant d'autres sur le champ de bataille.

Le nombre des combattants étant réduit, les lieux étant réduits à un champ de ruines, il fut inévitable que le capitaine général Francesco Morisini se rende avec les honneurs. Les historiens racontent que le 26 septembre 1669, jour où partirent les vénitiens, les habitants de Candie - il en restait seulement 400 - se présentèrent pâles et maîtrisés par tant de tourments à Morisini en le suppliant de les emmener ailleurs, parce qu'ils ne reconnaissaient plus leur patrie, devenue misérable , difforme et passée au joug des infidèles.

D'où l'origine de l'expression "être en Candie" c'est à dire "être aux extrémités"

Il ne faut pas croire ceux qui voudraient que cette expression soit attribuée aux pauvre nobles vénitiens qui, expédiés pour combattre en Candie ou bien à ceux qui sont fauchés et qui, spécialement le soir, s'assoient sur les marches des mats de la place Saint-Marc, (symbole comme on le croit à tort des trois jours de Chypre, Candie et Morea) , particulièrement sur les marches de celui du milieu, celui de Candie.

LXXXV

LA COIFFURE DES DAMES

Diverses selon les époques furent les coiffures de vénitiennes. Au début, elles laissaient leurs coiffures abondantes, ensuite elles tressaient leur cheveux et les serraient autour d’une petite couronne d’or (ou simili or). Plus tard elles portaient les tresses entortillées en forme de cône sur la nuque. C’est ainsi qu’est représentée Cassandra Fedele dans ses portraits.

De la coiffure transitoire, en forme de champignon, adoptée par les prostituées, nous avons déjà parlé ailleurs dans un autre chapitre.

Jusqu’au XVème siècle l’art de la coiffure cherchait à cacher les défauts de la nature. Casola, dans son livre "Voyage" remarque que le commerce des cheveux postiches était exercé à son époque à Venise par des vilains qui les exposaient sur de belles perches place Saint Marc.

Au milieu du XVIème siècle, on commença à faire des boucles au cheveux, partant des oreilles et allant jusqu'au front. Parfois les boucles étaient hérissées sur les côtés et prenaient la forme de cornes. Cela se voit encore de nos jours quand on veut imiter la coiffure de la célèbre ballerine Fuoco.

Mais nous voici au XVIIIème siècle avec les fameux toupets qu’on blanchissait au moyen de la poudre de Chypre et avec les non moins fameux "conzieri", renforcés par des fils métalliques appelés "vergole" et embellis par de la dentelle

Il n’y a donc pas à s’étonner que les coiffeurs, qui devaient aussi prendre soin des coiffures masculines furent si nombreux à Venise

En fait, à la chute de la république leur nombre s’élevait à mille cinq cents. Ils entraient librement dans les familles, devenant dépositaires des galants secrets, se faisant porteurs de lettres et de petits cadeaux amoureux, travaillant parfois pour leur propre compte dans les lieux de prostitution

LXXXVI

LES CHAUSSURES DES FEMMES

Autrefois, pour se protéger de la boue et de la vase, dans les rues pas encore pavées, les femmes portaient des talons assez hauts qui entravaient leur démarches. Ensuite elles adoptèrent des chaussures plus basses et à ce propos, on raconte l'anecdote suivante.

Tandis qu'un ambassadeur discutait en présence de Domenico Contarini, qui fut doge de 1659 à 1674, sur la nouvelle coutume plus pratique que l'ancienne, il ne put retenir un conseiller de s'exclamer : "Trop commode, trop!". Avec ces paroles, il voulait faire allusion à la tenue à laquelle les femmes étaient auparavant condamnées et à la coquetterie des libres mouvements que cette nouvelle mode leur permettait.

Les chaussures des dames étaient de couleurs variées, avec une pointe tournée vers le haut et des boucles plus ou moins riches selon la richesse de qui les portaient. On se souvient avoir vu une paire de boucles ornées de diamants d'une valeur de 10000 lires.

Ces derniers temps, l'usage des "mulete" (chaussures sans talons) nous a envahi, raillées par le satirique Labia et dont Ballerin écrit, dans ses lettres inédites : "On ne sait pas encore ce qu'en pensent les grands sujets qui composent le collège des Pompes , mais il est certain que la manière de se vêtir de ces dames séduisantes qui galopent sur la place en mulete, jupes courtes, ne laissent pas tranquille l'âme de ces graves sujets"

LXXXVII

SIEUR ANTONIO RIOBA

A la Madonna dell'Orto, sur le campo dei Mori, accrochées à un ancien bâtiment, surgissent trois statues d'hommes vêtus à l'orientale. L'un d'eux est connu sous le nom de sieur Antonio Rioba. Les chroniques de 1112 nous disent en fait que trois frères, Rioba, Santi et Alfani, venus de la Morea, et pour cela dits maures firent construire tous les édifices qui s'étendent du rio della Madonne dell'Orto à celui de la Senza. On ajoute que ces trois frères sont à l'origine de la famille Mastelli, marchande en sucre et épices, ayant boutique sur la Fondamenta de Cannaregio, à l'enseigne du Chameau. La famille Mastrelli s'éteint en 1620, son dernier représentant étant un certain Antonio et il n'est pas improbable que les gens aient ajouté le nom de celui-ci au premier nom de Rioba.

Sous le nom de Sieur Antonio Rioba, on diffusa à Venise un petit journal populaire. Un autre existe aujourd'hui avec le titre "l'Ombra de sior Antonio Rioba". Cette statue, au temps de nos ancêtres donnait lieu à des plaisanteries triviales. On ordonnait, par exemple, à quelque simple d'esprit, qui ne connaissait pas la ville, d'aller porter en toute hâte une lettre au sieur Antonio, campo dei Mori. Le sot marchait, marchait, finalement arrivait au lieu indiqué, demandait aux boutiquiers voisins où habitait Antonio, qui riant, plaisantant, lui montraient la statue fixée dans le mur.

Au milieu de ce siècle, elle fut restaurée, peinte de nouveau par un certain Guerra et on fait semblant de croire que sieur Antonio remercia son bienfaiteur par une chanson qui commence ainsi :

Je vous remercie patron Guerra

De votre charité

Je me vois encore reluisant

Alors que j'étais désespéré

Sans nez, la bouche cassée…

LXXXVIII

EMANUELE SPINARA

Celui qui passe par le grand Canal et arrive au traghetto de S. Felice voit surgir sur un pieu, adossé à une colonne du palais, la moitié d'une figure d'homme de bois coloré, en costume oriental.

Sur la colonne est sculptée une souris avec l'année 1644. Cette figure est vulgairement appelée Emanuele Spinara et grande est sa popularité, même si très en dessous e celle du sieur Antonio Rioba, précédemment mentionné.

Mais qui représente-t-elle vraiment et pourquoi est-elle placée ici? Il faut confesser que nous ne savons rien à ce propos. La tradition nous apprend seulement que, dans des temps anciens, vivait dans le quartier de S. Felice un Emanuele Spinara, personne très connue et très ressemblante à la figure indiquée. Ce serait pourquoi le peuple lui aurait donné ce nom depuis qu'elle existe au traghetto de S. Felice.

En 1848, on fit parler dans le journal intitulé Antonio Rioba, même la figure d'Emanuele Spinara

La statue , chère aux gondoliers et aux habitués du traghetto fut ignoblement volée, il y a quelques années.

LXXXIX

LES PRINCIPAUX INCENDIES

La série d'incendies s'ouvre en 428 et donne lieu à l'érection de l'église de S. Giacomo di Rialto. Suit celui qui met le feu en 976 au palais ducal , allumé par les conjurés contre le doge Pietro Candiano IV. Plus important encore celui de 1105, parti de la maison Dandolo à SS. Apostoli, lequel consume plusieurs quartiers et précède seulement de 48 jours un autre qui surgit en janvier dans la maison Zanzani et dont les flammes, selon le chroniqueur Scivos dévorent 16 îles et presque tout le quartier Dorsoduro.

Parmi les incendies du XVIème siècle, doivent être notés celui de l'arsenal en 1569 avec destruction de l'église et du monastère de la Céleste et celui de 1574 qui détruit en partie le palais ducal.

Au XVIIème siècle, deux incendies, en 1683 et 1686 dans Barbaria delle Tole, rappelés par le nom que portent les rues dites calle Prima et calle seconda del Brusà, toujours existantes.

Au siècle dernier, notons l'incendie de 1735 à SS. Filippo et Giacomo et celui de 1709 à SS. Armagora et Fortunato, près du campiello del Tagliapietra, qui fut décrit en prose et chanté en poésie.

Diverses lois furent émises par la République à propos des incendies. Le 10 juin 1450, on impose, sous peine d'amende aux porteurs de seaux de vin et aux prostituées d'aider à l'extinction des feux. En 1454,on confie aux curés les seaux, les échelles, les tapes et autres objets étendant à tous l'obligation d'apporter leur aide aux porteurs et personnes chargées de dompter les flammes.

En 1519, on procéda à l'élection de deux inspecteurs pour prévenir et éteindre les incendies.

Par décret, le 16 mai 1759, chaque quartier devait avoir son chef-pompier et les artilleurs étaient obligés de lui obéir.

On présenta en 1776 au Sénat la première pompe à incendie construite à Venise par Bonaventura Benvenuti, chaudronnier. Finalement le 22 janvier 1777, fut instituée un corps régulier de pompiers, duquel on nomma commandant l'ingénieur et architecte Filippo Rossi.

XC

LES TREMBLEMENTS DE TERRE

Il y eut dix neuf tremblements de terre sous la République, comme le mentionne Gallicoli dans ses Mémoires. Parmi lesquels, les plus remarquables furent ceux du 25 janvier 1348 et du 26 mars 1511.

A l'occasion du premier, selon les chroniqueurs, 1000 maisons s'effondrèrent et d'innombrables cheminées ; les cloches se mettaient à sonner toutes seules ; le grand Canal montrait à sec la moitié de son lit, renversant ses eaux tantôt d'un côté, tantôt de l'autre : les campaniles de S. Silvestro et de S. Giovanni Elemosinario s'écroulèrent ainsi que la coupole de S. Angelo et de S. Vitale et aussi deux arcades de l'Arsenal.

Plus terrible fut le séisme de 1511, au cours duquel s'ajouta des pertes humaines à la destruction des immeubles. Ce jour-là, les Priés s'étant rassemblés et les sénateurs entendant les craquements dans le toit du palais ducal au dessus de leurs têtes, tous sortirent précipitamment. Sanuto raconte que: "Tous étaient abasourdis par la peur. Les uns couraient sur la place, d' autres dans les rues, d'autres se mettaient à prier et d'autres ne savaient que faire. Beaucoup de femmes enceintes accouchaient subitement sous l'effet de la peur et sans douleur, parmi lesquelles la femme du sieur Tiepolo, surintendant, fille de Pancrati Justinian."

et plus loin : "Ensuite, les prêtres des quartiers commençaient à faire procession, cierges à la main, chantant des litanies. il y avait grande terreur à voir et tous se savaient en danger parce que les tremblements de terre duraient habituellement quelques jours. Cette nuit là, beaucoup de groupes allèrent dormir dans les champs, les vergers, sur les places, craignant une nouvelle secousse;"

Le matin suivant, le patriarche Antonio Contarini se présenta à la Seigneurie pour rappeler que c'était un châtiment envoyé par le ciel, pour tous les péchés et particulièrement ceux de chair, qui se commettaient à Venise et il réclama des mesures sérieuses et efficaces. Il ordonna en outre que soit faite sur la place Saint-Marc une solennelle procession, en portant l'image de la Vierge Nicopeja.